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Tribune / « … L’IA nous dépassera avant même qu’on ne la comprenne »

Par Helly GBENE

Dans cette tribune, l’auteur propose une analyse sur l’intelligence artificielle, et comment l’Afrique doit se préparer pour faire face aux mutations dans un monde où la technologie évolue à grande vitesse.

Faut-il avoir peur de l’IA en Afrique ?

Non, il ne faut pas avoir peur de l’IA, mais de l’absence de préparation. Ce n’est pas une guerre homme-machine, mais plutôt une confrontation entre les humains qui se préparent à l’avenir et ceux qui restent passifs face aux transformations en cours. L’IA est un outil puissant, et si elle est bien encadrée, elle peut devenir un accélérateur majeur pour l’Afrique. Ce continent, avec ses défis uniques mais aussi ses immenses potentiels, peut en faire un levier pour sa prospérité collective.

L’intelligence artificielle redistribue les cartes. L’Afrique ne peut plus rester hors-jeu.

L’IA transforme déjà tous les secteurs : santé, agriculture, finance, industrie, éducation, sécurité, culture. Chaque secteur est touché, et certains métiers, aujourd’hui clés, risquent de disparaître, de muter, ou d’être totalement reconfigurés. Les emplois à faible valeur ajoutée seront automatisés, tandis que de nouveaux métiers d’avenir émergeront : analystes de données, éthiciens de l’IA, développeurs de modèles, coachs cognitifs, médiateurs homme-machine, etc.

Si l’Afrique ne prépare pas sa jeunesse à ces transformations, elle risque de devenir une réserve de consommateurs passifs de technologies conçues ailleurs, sans pouvoir réel sur ses propres destinées. Le temps de la passivité est révolu. L’Afrique doit agir maintenant pour ne pas se retrouver à la traîne.

Une réforme éducative radicale : priorité à l’esprit critique, à l’éthique et à la créativité

Notre système éducatif est encore largement basé sur un modèle du passé, et il ne prépare pas les jeunes aux défis du 21e siècle. Il est urgent de réformer l’éducation autour de nouveaux piliers fondamentaux :

Développement de l’esprit critique, dès le primaire, par la lecture, l’analyse et le débat ; Initiation à la recherche et à l’innovation, pour tous, et non pour une élite ; Créativité numérique, à travers l’art, la culture, le codage, le design, la résolution de problèmes ; Formation à l’éthique de l’IA, pour comprendre les biais, les impacts sociaux et la responsabilité humaine.

Si l’Afrique ne fait pas de cette réforme éducative une priorité, l’IA nous dépassera avant même qu’on ne la comprenne. Nous serons condamnés à une domination technologique étrangère, au lieu de bâtir un avenir où l’Afrique joue un rôle central.

L’Afrique doit refuser la colonisation technologique

Les puissances technologiques telles que les États-Unis, la Chine et la Russie avancent à grande vitesse. Elles imposent leurs infrastructures, leurs plateformes, leurs modèles culturels et économiques. Si l’Afrique ne se réveille pas, elle sera colonisée technologiquement : dépendante des autres pour ses données, ses décisions, et même sa sécurité.

Il est impératif que l’Afrique prenne sa place dans la course technologique mondiale. Afin d’amorcer ce virage stratégique, nous proposons la création et la mise en place de :

– Un Pacte Africain pour l’Intelligence Augmentée Humaniste (PAIAH) : Un engagement continental pour guider l’utilisation de l’IA au service de l’humain et du bien commun ;

– Des centres de formation africains de souveraineté numérique, où les technologies sont adaptées aux réalités locales (humain + IA) : Des programmes de formation visant à outiller les jeunes avec des compétences à la fois humaines et techniques pour faire face aux métiers de demain ;

– Des hubs de gouvernance éthique de l’IA : Créer des espaces dédiés à la régulation et à la réflexion éthique sur l’IA, ancrés dans les réalités africaines et intégrant les valeurs sociales et culturelles locales ;

– Une nouvelle génération de leaders : Des leaders capables de conjuguer compétence, conscience et courage, qui guideront l’Afrique sur la voie du progrès. Ce qui amène à encourager les innovations locales qui répondent aux défis africains, du secteur de l’agriculture à la santé publique. Et aussi à financer les startups tech citoyennes, éthiques et panafricaines qui pourront proposer des solutions en phase avec les besoins du continent ;

– Développer une diplomatie technologique afin de peser sur les décisions internationales liées à la régulation des technologies.

L’intelligence augmentée : la voie pour un leadership africain éclairé

L’intelligence augmentée est la voie vers un leadership africain éclairé. Ce concept ne vise pas à opposer l’humain à la machine, mais à permettre à l’humain de se renforcer grâce à la technologie tout en restant fidèle à ses valeurs fondamentales. Ce que nous proposons, c’est une Afrique où l’humain utilise l’IA pour mieux penser, mieux décider, mieux produire et mieux coopérer. Ce n’est pas la machine qui doit penser pour nous. C’est nous qui devons penser avec elle, mais en gardant l’éthique, la vision et la finalité.

L’Afrique a tout à gagner à ce modèle où l’intelligence humaine et la technologie coopèrent de manière stratégique et éthique. L’intelligence augmentée est la clé pour un futur africain où la souveraineté numérique, l’éthique de l’innovation et le leadership éclairé seront les fondements du progrès.

L’Afrique à la croisée des chemins

L’inaction serait suicidaire. L’IA ne fait pas de pause. Il faut former une jeunesse qui lit, qui pense, qui critique, qui innove, qui ose. Il faut des gouvernants visionnaires, des entrepreneurs stratèges, des systèmes éducatifs refondés. L’Afrique ne doit pas suivre le rythme dicté par d’autres, elle doit en imposer un nouveau, où l’éthique, la créativité, et la souveraineté technologique sont au cœur de l’agenda stratégique.

Ce ne sont pas les technologies qui domineront le monde, mais les humains capables d’en faire un usage juste, stratégique et collectif.

L’Afrique a la possibilité de repenser son avenir, d’innover pour elle-même, et de construire un modèle technologique respectueux de ses valeurs, de ses aspirations et de son potentiel. Cela commence maintenant.

Helly GBENE, CEO Cabinet d’Ingénierie de Formation & Consulting (IF&C Togo), Consultant en veille stratégique et développement des compétences

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