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Coopération : Que cache l’axe Lomé-Libreville ?

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Le Gabon et le Togo n’ont pas de fortes relations commerciales, mais leurs deux chefs d’Etat entretiennent d’étroits rapports qui confinent à la suspicion. Que cache l’axe Lomé-Libreville ?

Quel est le pays le plus visité par Faure Gnassingbe depuis son arrivée brutale au pouvoir le 5 février 2005 ? Avec quel pays, le Togo a une relation stratégique ? La France, le Bénin, le Burkina-Faso ou le

Ghana ? Si vous avez nommé un des voisins du Togo ou l’ex-métropole, vous pouvez aller vous rhabiller ! Faux sur toute la ligne. Le Gabon, pays d’Afrique centrale, enclos emblématique de la Françafrique si cela se trouve, est le pays le plus visité par le chef de l’Etat togolais en 16 ans de pouvoir; le Congo devrait être probablement le deuxième sur la liste.

Inventaire à la Prévert des visites ces dernières années : 19 août 2022, 23 janvier 2020, 7 mai 2019, 24 mai 2018, 2021. Et si en période intense de covid-19, le déplacement était quelque peu périlleux, la présidence gabonaise se faisait fort quand même d’inventer un voyage imaginaire du chef de l’Etat togolais. En juillet 2020, pour porter un démenti non officiel à des rumeurs concernant la disparition d’Ali Bongo, un grand malade, qui serait en incapacité de présider son pays en raison de son état de santé, la présidence gabonaise bidouille une info bidon d’un voyage officiel de Faure Gnassingbe. Ainsi, le site Gabon 24 écrit : « le président de la République, Ali Bongo Ondimba, recevra ce lundi 13

juillet 2020, son homologue le président de la République du Togo, Faure Essozimna Gnassingbe, pour une visite de travail et d’amitié au Gabon ».

L’information est invraisemblable. Mais, on ne prête qu’aux riches. L’étroitesse des relations entre Faure Gnassingbe et Ali Bongo Ondimba n’est plus alors à démontrer.

Mais la relation n’est pas qu’à sens unique. Quand son état de santé le permet, le successeur d’Omar Bongo fait aussi le déplacement de Lomé, comme cette «visite d’amitié et de travail de 48h » effectuée le 30 novembre et le 1er décembre derniers. Depuis 2021, les deux chefs d’Etat ont passé le témoin à leurs chefs de gouvernement.

Ainsi, la PM Victoire Dogbe-Tomegah fait le voyage de Libreville en octobre 2021, suivie deux mois plus tard par son homologue gabonaise, Rose Christiane Ossouka Raponda. Illustration d’une relation plus qu’étroite entre les deux pays.

Mais de quelle relation s’agit-il ? On échangerait sur «plusieurs questions bilatérales, régionales, continentales, et des sujets internationaux de l’heure, à l’instar de la lutte contre les changements climatiques ou ceux liés à l’économie et à la sécurité ».

En 2021, « les échanges au Palais présidentiel ont ensuite porté sur les nombreux sujets communs qui illustrent la “convergence des politiques mises en œuvre par les deux gouvernements. Notamment, les questions de jeunes, femmes, agriculture, digitalisation, encore environnement et développement durable, ou encore la prochaine session de la Commission mixte Togo-Gabon ». Et puis, c’est tout.

Rien de probant qui puisse justifier l’utilisation de l’argent public pour le renforcement de la coopération entre ces deux pays. A priori, rien n’explique de façon évidente sur le plan économique, que le numéro un togolais fréquente de ses assiduités la capitale gabonaise.

Certes, par le passé, un journal togolais a titré sur les énormes importations de produits pétroliers du Togo vers le Gabon, faisant miroiter que ce pays serait la destination finale d’une production pétrolière togolaise présumée. Il ne s’agit en réalité que de réexportations de produits pétroliers arrivés au Port autonome de Lomé. A l’exception, l’exportation de produits vivriers (maïs, igname, manioc), le commerce entre les deux pays n’est pas si élevé.

La forte présence d’une communauté togolaise au Gabon, cadet des soucis de Faure Gnassigbe, n’est pas non plus une raison valable. On note toutefois, selon un diplomate de l’ambassade du Togo à Libreville, le caractère énorme des transferts d’argent du Gabon vers le Togo, estimés à des milliards par an. Le solde est positif sur ce plan pour Lomé.

Le Gabon fut un eldorado qui a attiré beaucoup d’Africains, notamment les Ouest-africains, à cause de meilleurs salaires.

Mais le pays est moins attrayant depuis qu’il connait des marasmes économiques à cause de la mauvaise gestion des énormes recettes pétrolières par Omar Bongo et son fils, et surtout la chute vertigineuse des prix des matières premières minières.

Malgré l’exploitation du pétrole, du bois, et d’autres minerais, le Gabon a perdu de sa superbe. «Malgré la mainmise des Français sur le Gabon, son pillage par Elf Gabon et toute la camarilla françafricaine, Omar Bongo aurait pu hisser ce pays de cinq fois la superficie du Togo et quatre fois moins sa population, au rang des émirats pétroliers du Moyen-Orient », note un observateur. Résultat : un pays totalement exsangue et en plein délitement.

Insignifiants échanges économiques, pourquoi alors le Gabon est-il si important pour Faure Gnassingbe.

Ceux qui s’assemblent se ressemblent

Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es, dit-l’adage. Ce sont les fréquentations choisies  qui révèlent notre nature. Faure Gnassingbe et Ali Bongo sont tous le fruit de successions monarchiques dans des républiques. L’arrivée de Faure Gnassingbe en 2005 a conforté le président Omar Bongo dans ses ambitions présidentielles pour son fils Ali. L’ancien président gabonais était d’ailleurs à la manœuvre avec son carnet d’adresses en Afrique et dans l’Hexagone pour sauver la mise et mettre le pied à l’étrier à un Faure Gnassingbe isolé sur la scène internationale.

Depuis l’arrivée au pouvoir d’Ali en 2009, les deux héritiers se serrent les coudes et s’entraident. Après 13 ans de pouvoir, affaibli physiquement par un AVC, la démarche et le parler pénibles, Ali Bongo s’apprête tout de même àrempiler pour un 3ème mandat en 2023.

Son compère Faure Gnassingbe n’est pas en reste. En dépit de  17 ans de pouvoir, à moins d’un malheur, il sera candidat en 2025 pour un 5ème mandat, après plusieurs tripatouillages de la constitution.

Les deux héritiers sont d’ailleurs de grands démocrates qui ont démoli par la ruse et la violence leurs oppositions. Si le Gabonais a brisé l’élan populaire en 2015 par le massacre des manifestations après la présidentielle, grâce à des hélicoptères de type Gazelle vendus par la France, les mêmes  hélicoptères acquis par le Togo en 2017-2018, malgré la mise en garde des organisations des droits de l’homme contre leur utilisation éventuelle contre les manifestations démocratiques.

La récente adhésion du Togo et du Gabon au Commonwealth traduit également une communauté de pensée et d’action. Selon certains analystes, Libreville et Lomé ne pardonneraient pas à Paris de les snober. Nicolas Sarkozy n’a pas voulu d’Ali Bongo, ou en tout cas ne lui avait pas apporté un franc soutien en 2009. Dès lors,  les relations entre Libreville et l’Elysée sont moins chaleureuses.

Idem pour Faure Gnassingbe qui n’a fait le déplacement officiel en France qu’une seule fois. Il n’a jamais été reçu ni par Sarkozy, ni Hollande, et le président Macron ne l’a reçu qu’à son corps défendant, après avoir essayé de lui faire tordre le bras par ses pairs de la sous-région lors de la crise sociopolitique de août 2017-2019. Les deux héritiers veulent faire leur trou et se soustraire ainsi de l’influence de Paris.

Le discours sur une certaine idée de neutralité de l’Afrique vis-à-vis des conflits mondiaux porté par le ministre Robert Dussey tiendrait pour origine ce « lâchage en plein vol » de Paris,  comme dirait  un certain homme politique malien.

En réalité, les temps ont changé. Les intérêts de la France dans son pré carré ne sont plus les mêmes. La France a beaucoup plus de liens avec le Ghana, troisième économie sous-régionale et producteur de pétrole, et le Nigéria, première puissance d’Afrique, qu’avec le Togo ou certains pays de l’UEMOA.

La dictature togolaise soutenue par le passé par la France à cause du communisme au Bénin et du régime socialisant du Ghana, n’a plus le même attrait pour la France.

Le Gabon est quasiment logé à la même enseigne. Certaines mines sont épuisées au Gabon, et la production du pétrole ne fait que décroître depuis le scandale d’Elf. Il s’agit donc de deux dirigeants esseulés, en problèmes existentiels malgré l’enracinement apparent de leurs régimes respectifs. Faure Gnassingbe, jeune doyen des chefs d’Etat, tente d’exister péniblement sur la scène  internationale à travers des médiations mais ne rencontre que mauvaise fortune, tandis qu’Ali Bongo, handicapé par la maladie, s’accroche désespérément à son trône, vivant un trouble compulsif de sa finitude, ne peut véritablement faire de projet d’avenir.

D’un côté ou de l’autre, on est en présence de deux chefs d’Etat malheureux au pouvoir.

Les deux n’ont ni la carrure ni l’aura de leurs pères. Des compagnons d’infortune…

©L’Echiquier

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