Politique

Le congrès, l’avenir du CAR, le tribalisme, Togbui Ayivon Akouété Dagban IV déballe tout

Militant et puissant cadre du Comité d’action pour le renouveau (CAR),  Togbui Ayivon Akouété Dagban IV,  chef traditionnel de Bè, ne décolère pas après le fiasco du congrès- il était candidat à la présidence du parti. Au cours de cette interview, il sort la sulfateuse, évoque l’échec du congrès, fait un inventaire accablant  de l’héritage  de feu  Me Yaovi Agboyibo, et accuse le clan Ouatchi de tribalisme. Lisez plutôt.

L’Echiquier : Qu’est-ce qu’il s’est passé pour que le congrès du CAR se termine en esclandres entre les militants ?

Togbui Ayivon Akouété Dagban: C’était prévisible. Avant le congrès,  j’ai eu à dénoncer à maintes reprises des dysfonctionnements au sein du bureau du parti. Lesquels dysfonctionnements n’ont pas été corrigés avant le congrès. Ce sont ces mêmes dysfonctionnements nous ont conduits à ce fiasco au congrès. Les mêmes personnes qui donnaient des injonctions et se faisaient passer pour les maîtres du parti ou les héritiers potentiels et naturels sont les acteurs de ce fiasco.

Comment expliquez-vous l’échec d’un tel congrès quasiment 3 ans après le décès de Me Agboyibo ?

Le bureau qui a conduit le congrès a joué afin de reprendre du service. A un moment donné, j’ai eu l’impression que le bureau faisait de la diversion pour perdurer. Mais du moment où ils ont annoncé le congrès, j’ai cessé de faire pression pour les accompagner d’une manière ou d’une autre pour qu’enfin un bureau solide, nouveau puisse être installé et impulser un nouveau dynamisme au parti.

On ne peut pas comprendre que des candidats déclarés se présentent sans qu’on vérifie la recevabilité de leurs candidatures. Les textes du parti ont déjà prévu les conditions de cette recevabilité qui commandent qu’il faut être en règle de ses cotisations vis-à-vis du parti et réunir la caution du tiers des fédérations.

Lors du congrès, on nous a présenté un nombre exagéré de fédérations. Ils disent que nous avons 47 fédérations alors que ce sont au maximum 39 fédérations. Ils ont gonflé les chiffres histoire de pouvoir les comptabiliser dans les fédérations qui cautionnent leurs candidatures.

Sur les 4 candidats qui sont restés en lice, deux ont pu obtenir la caution d’au moins le tiers des fédérations : Robert Datè et moi. Les deux autres n’ont pas pu présenter une liste de fédérations (au moins 15) dont ils auraient obtenu la caution. Une fois qu’ils n’ont pas rempli cette condition, ils ne doivent pas être présentés comme des candidats.

Nous avons rappelé cette disposition statutaire au bureau, mais ils tenaient à un consensus mécanique qu’on n’arrivait pas à avoir. Lorsque la situation s’est décantée avec la question de la caution et que deux candidats se sont clairement dégagés, ils ont classé le dossier pour évoquer encore le consensus. Je n’ai plus rien compris et je leur ai demandé s’ils font ce manège parce qu’ils n’ont pas retrouvé parmi les candidats celui qu’ils voulaient positionner.

Coups de fil par-ci par-là du président du présidium du congrès, une dame candidate sans soutien d’aucune fédération pour jouer au trouble-fête, Jean Kissi pas à jour du règlement intérieur, le congrès était téléguidé de l’extérieur…

Togbui Ayivon Akouété Dagban IV

Le bureau provisoire n’a pas bien géré le processus. Il est sous le coup d’intoxications puisque lorsque deux candidats ont été écartés pour défaut de caution des fédérations, leurs bases ont commencé par entrer en ébullition, surtout celle de Jean Kissi qui n’a pas pu obtenir la caution d’au moins 15 fédérations. La dame qui était candidate n’a même pas de base et n’a pas obtenu une seule caution. La base de Jean Kissi s’est mise en ébullition pour dire qu’il n’y aura pas d’élection. C’est un refus de respecter le texte.

Les bagarres ont commencé. Des coups de fil par-ci et par-là pour qu’on n’aille pas aux votes. Le président du congrès M. Kolani est sorti de la salle au moins dix fois pour recevoir des appels. D’ailleurs, il en recevait même devant nous, et on comprenait aisément que ce sont des consignes qu’il recevait. Il était lui-aussi manipulé de l’extérieur.

Une main extérieure peut-elle diriger les travaux du congrès d’un parti souverain ?

Tout dépend de la personnalité de celui qui dirige les travaux. S’il a une personnalité fluctuante, il peut y avoir des manipulations venant de l’extérieur.

Entre-temps, il se racontait dans l’opinion que la famille Agboyibo aurait envoyé un message enjoignant le parti de désigner Jean Kissi comme le successeur de Me Agboyibo à la tête du parti. Je pense que ce sont des racontars parce que la famille Agboyibo est différente du parti CAR. Si aujourd’hui je prends ce parti et que demain je ne suis plus là, est-ce que ma famille aussi va donner des injonctions ? Je dis non parce que le congrès est souverain. La rumeur devenait tellement persistante que le chef de la famille Agboyibo a dû faire le déplacement pour taire cette rumeur.

Voilà l’environnement de ce que nous avons fait et comment ceux qui n’ont pas pu avoir la caution des fédérations se sont levés pour demander si au temps d’Agboyibo on faisait des élections pour élire le président du parti. Ils disaient : « Si Agboyibo était là, est-ce qu’on va faire ça ? ». Moi je dis que les textes sont là et il faut les respecter.

Vous n’avez pas été écouté ?

Comme la situation arrangeait le bureau sortant, ils nous ont demandé de sortir afin qu’ils se concertent avec les responsables fédéraux. A notre retour, ils nous ont mis devant le fait accompli en disant qu’avec les responsables fédéraux, ils ont décidé de faire une transition de deux ans. Ils ont décidé de passer en force en refusant aux congressistes et candidats de prendre la parole. A ce stade, j’ai compris que le congrès a échoué et qu’il n’est plus question de se battre pour quoi que ce soit.

Comment le congrès s’est-il terminé ?

Si nous ne clôturons pas le congrès, ce n’est pas bien pour le parti parce que nous avons un mois pour déposer les textes inhérents à notre parti pour répondre aux exigences de l’autorité en charge des partis politiques. Finalement ils ont organisé une plénière bancale pour déclarer qu’ils ont pris acte de la décision des fédérations d’organiser une transition dont la durée n’a finalement pas été précisée.

Quelle sera la suite des événements alors que les élections régionales et législatives se profilent à l’horizon décembre 2023 ?

Nous allons nous organiser pour répondre à ces consultations, surtout que c’est beaucoup plus individuel. Ce n’est pas une élection présidentielle où c’est le parti qui sera intéressé dans sa globalité.

Pour les élections législatives, les candidats doivent s’organiser, trouver les moyens et attendre le soutien du parti qui est le cadre existant. Ils vont faire campagne sous la bannière du parti. Je crois qu’avec un peu plus d’habilité et de créativité, nous irons à ces consultations. Non pas pour revenir la queue entre les jambes comme lors du congrès, mais la tête haute avec un certain nombre d’élus.

Dans nos contrées, un parti politique, quand tu n’as pas les moyens financiers, ne t’y aventures pas. Aujourd’hui le CAR est à terre et tous les aventuriers veulent le ramasser.

Togbui Ayivon Akouété Dagban IV

Dans deux ans, est-ce le CAR aura un candidat à la présidentielle de 2025 ?

Pourquoi pas ! Si ce sont des manigances pour nous priver de candidat, je crois que cela a échoué. Si le CAR n’a pas sous sa bannière un candidat, il y aura des candidats indépendants qui sortiront pour aller aux élections.

Vous êtes candidat à la présidence du parti. Aviez-vous des chances ?

D’aucuns ont estimé qu’on aurait acheté le soutien des responsables des fédérations, mais moi je trouve que cela fait partie du jeu. Que quelqu’un ait les moyens pour obtenir le soutien des fédérations n’est pas contraire au jeu politique. Nous ne devions pas nous accrocher à ces intoxications pour annuler le processus.

Ceux qui étaient avec moi (une soixantaine), j’ai pris en charge leur hébergement dans les hôtels et non les maisons. J’ai assuré leur déplacement et leur restauration matin, midi et soir. C’est comme ça qu’on exerce un parti politique. Si tu n’as pas les moyens, ne t’y aventures pas. Aujourd’hui le CAR est à terre et tous les aventuriers veulent le ramasser.

C’est vrai que c’est essentiel que le leader ait une poche bien garnie, soit intelligent et instruit parce que la politique c’est de l’art, mais c’est toute une science. Qui veut faire la politique ne peut pas toujours réussir. Et puis la politique, c’est comme une religion qui t’engage, on ne s’y engage pas. Très tôt, elle m’a engagé. J’y suis et je cherche toujours à mériter ma place et ce que je fais.

Pouvez-vous déclinez votre vision et votre programme ?

En entendant d’être président, je ne vais pas déballer mes stratégies. Si je le dis aujourd’hui, avec le temps, cela va devenir obsolète parce que ce que vous avez comme vision aujourd’hui peut changer demain en fonction des situations. Ce n’est pas la peine qu’on s’y attarde.

Mais je peux vous dire que j’aspire à un parti financièrement indépendant. Un parti qui rayonne et qui fait nourrir de l’espoir vrai à ses militants. Comment allons-nous y arriver ? Nous devons faire en sorte que tous nos militants dans toutes les bases soient des travailleurs, aient des revenus et vivent du fruit de leur labeur. Que ce ne soit pas des gens qui attendent que bientôt notre parti va avoir le fauteuil présidentiel et que le lait et le miel vont couler.

Souvent, nous faisons rêver les militants pour créer de l’enthousiasme afin qu’en temps de mobilisation ils puissent nous soutenir. Moi je ne sais pas faire rêver c’est pourquoi je voudrais les amener au concret. C’est de travailler, avoir des idées de projets à faire valoir pour pouvoir gagner sa vie. C’est à cela que nous allons nous atteler.

Ceux qui soutiennent ma candidature, nous les avons instruits pour qu’ils se comportent en soutien de notre parti qui est en train de mourir. Dénichons des gens de valeur pour pouvoir intégrer nos rangs et nous accompagner. Dénichons déjà les têtes de pont pour les législatives et les régionales qui s’annoncent. Voilà le travail que je leur ai donné pour qu’ils commencent par eux-mêmes à travailler d’arrache-pied. Seul le travail peut nous conforter dans nos moyens et nous libérer du joug de la manipulation et des achats de conscience.

Nous n’avons pas peur du lendemain. Nous prenons nos précautions tout en étant subtils et avertis de ce que nous ne sommes pas solides sur nos pieds.

En 2010, il y a eu une tentative de préparation de Jean Kissi pour remplacer Me Apévon : c’est toujours le même creuset ethnique, un pur calcul sur la base ethnique, cette « Ouatchilisation » du parti sous toutes ses formes que nous avons combattue. S’ils avaient banni cette façon de voir les choses, on aurait évité le fiasco du congrès.

Togbui Ayivon Akouété Dagban IV

Me Agboyibo a dirigé le parti pendant plus de deux décennies, a passé la main, puis repris la main, et meurt sans avoir désigné ou permis l’érection d’un successeur ou des successeurs potentiels. Pensez-vous que les problèmes actuels font partie de son héritage ?

Généralement, les gens cherchent à mourir au pouvoir. Mais dans notre cas précis, Me Agboyibo a eu quand même le courage de passer la main après pratiquement 18 ans. Il a passé la main à son frère et c’est le même creuset ethnique. Ensuite, il l’a reprise. C’est toujours le même creuset ethnique et nous avons fait pratiquement 30 ans de règne de la même ethnie à la tête du parti.

Cela voudrait dire que la plupart des investissements du parti profite à ce creuset ethnique. Cela voudrait aussi dire que la plupart des cadres du parti nous viennent de cette ethnie. L’une des preuves est que depuis 2007, c’est là-bas que nous avons nos élus. Il y a déjà un problème et Me Agboyibo le savait. Il ne peut pas choisir un successeur en dehors de son creuset ethnique, et s’il voudrait le faire, les autres s’y opposeraient parce que le CAR a été conduit d’une manière ou d’une autre de façon ethnique.

En 2010, il y a eu une tentative de préparation de Jean Kissi pour remplacer Me Apévon et cela n’a pas marché. C’est toujours le même creuset ethnique. Pourquoi le CAR doit-il toujours être dirigé par quelqu’un de cette même ethnie ? Qu’on me dise que c’est un pur hasard, je dis non. C’est un pur calcul sur la base ethnique et c’est contre cela que je me suis opposé. J’ai combattu la « Ouatchilisation » sous toutes ses formes. Les gens m’ont tourné en dérision. Ils auraient pu comprendre et on aurait pu travailler à bannir cette façon de voir les choses qu’on aurait évité le fiasco du congrès.

Durant le congrès, le côté ethnique a également prévalu. Les gens ont dit que la tête du parti ne peut pas quitter leur ethnie sinon quelque chose va se passer et que ce ne sera pas de leur vivant. Comment voulez-vous que cela réussisse s’il y a ce blocage ?

Agboyibo a bien voulu changer les choses en créant une cellule stratégique il y a au moins six ans lorsqu’il a repris le parti en 2016. Cette cellule de 12 personnes pilotait le parti en l’absence du président entre 2017 et 2020. Mais dès qu’il est parti, les velléités de succession ont fait surface.

En ma qualité de responsable du parti et de grand contributeur financier après Me Agboyibo, je ne vais pas céder à l’arbitraire ethnique. Quand ils sont venus me voir pour me dire de préparer tel de la même ethnie pour prendre la tête du parti, j’ai dit non. C’était dès le premier mois après le décès du président. Je leur ai dit que puisqu’ils n’ont trouvé personne en dehors de la frange Ouatchi, je me positionne.

C’est alors que j’ai commencé par analyser les textes relatifs à la chefferie traditionnelle avec l’éclairage de certains juristes et j’ai compris que je peux me positionner. J’ai commencé par descendre dans les localités pour m’entretenir avec les fédérations qui seraient amenées à me soutenir. Je savais que j’avais de loin le tiers de ces fédérations avant même qu’ils n’aient rêvé annoncer le congrès. Je ne me suis pas arrêté là. A l’approche du congrès, je suis encore retourné à la base avant de revenir.  

Par exemple à Lomé, huit fédérations sur dix m’ont donné leur caution. C’est déjà un grand signe que je suis toujours à la page dans ma localité. En évoluant jusqu’à Kpalimé, j’ai pu obtenir la caution de dix-sept fédérations, mais sept m’ont été arrachées. Je savais qu’au moment du vote, la surprise va avoir lieu et nous allons les reprendre.

Agboyiboïsme ou Agboyibisme, le temps du culte de la personnalité est révolu. Le temps du culte de la personnalité d’Agboyibo est révolu. Il faut que nous allions de l’avant pour relever le parti. C’est à ce seul titre qu’Agboyibo n’aura pas démérité. Si nous ne relevons pas le parti ce sera dommage.

Togbui Ayivon Akouété Dagban IV

Le congrès se décline sous le thème « L’Agboyibisme, un impératif pour un Togo démocratique et prospère ». Après l’échec itératif des dialogues inter-togolais, et l’échec même d’Agboyibo depuis les législatives de 1994 et son passage à la primature, pensez-vous réellement que l’absence d’alternance est-elle liée au manque de dialogue ?

Moi je ne suis plus dans ce syllogisme. Le temps du culte de la personnalité d’Agboyibo est révolu. Que signifie « Agboyibisme » ? Il y a eu toute une lutte autour. Certains disent que c’est Agboyiboïsme. La messe est dite et nous n’allons plus rester à l’église. Il y a un temps pour tout. Nous avons déjà passé le stade de la messe, il faut que nous allions de l’avant pour relever le parti. C’est à ce seul titre qu’Agboyibo n’aura pas démérité. Si nous ne relevons pas le parti ce sera dommage.

Je n’ai jamais accepté ce thème parce que je suis dans le concret. Si vous voulez parler de la méthode du CAR, écrivez cela. Mais les courants qui sont plus violents l’ont maintenu. Et nous-mêmes n’avons pas été capables d’appliquer l’Agboyibisme.

Le dialogue seul ne suffit pas. Notre méthode, c’est un peu de pression et de dialogue. Lorsque tu fais la pression, il faut être prêt à dialoguer. En politique, même ton ennemi, si les moments s’y prêtent et qu’il a besoin de toi, s’il te tend la main, ne refuse pas. Le refuser, c’est refuser un dialogue. Peut-être que le sujet pour lequel il t’appelle, en le traitant vous allez en profiter pour régler votre différend. C’est ce que j’ai appris d’Agboyibo.

Au moment du colloque sur la vie de feu Me Yawovi Agboyibo, de nombreuses sources avaient évoqué une succession à la tête du parti par son fils Pascal Agboyibo. Etes-vous de ce courant ? Quel commentaire faites-vous à propos de cette pensée ?

Ceux qui étaient toujours de l’autre bord ethnique, ce sont eux qui avaient nourri cette ambition. Ils avaient voulu galvaniser l’opinion du parti à cet effet. J’ai été farouchement contre et je n’ai pas manqué de l’exprimer aussi. Nous avons des textes. Si le fils de Me Yawovi Agboyibo s’inscrivait parmi nous comme militant du CAR et s’activaient dans une fédération donnée, cette dernière peut le porter. Mais s’il n’a pas la caution d’au moins 15 fédérations, on ne peut pas nous l’imposer.

Je ne voudrais pas commenter, mais sachez qu’il y a des porteurs de cette opinion qui se sont battus jusqu’aux obsèques du patron. Après les obsèques, le fils de Me Yawovi Agboyibo a dit clairement qu’il n’est pas politique et qu’il ne saurait venir s’asseoir dans le fauteuil de son père. Ils étaient déçus et ont rebondi pour venir à la charge avec deux autres personnes.

Je voudrais dire à l’opinion nationale de ne pas perdre espoir. Nous avons perdu un combat, ce n’est pas toute la guerre. Ce n’est qu’un front que nous n’avons pas pu tenir, mais il y a beaucoup d’autres fronts. Aux militants, je dis de ne pas paniquer parce que le CAR ne vas pas disparaître.

Interview réalisée par Octave Logo

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