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Chronique: Premier Ministre, premier sinistre

Un Ministre, ça ferme sa gueule devant le Chef de l’État. Que dire alors d’un Premier Ministre ; ça avale ses convictions pour payer le prix d’une allégeance absolue à celui qui l’a élevé à ce rang, témoignage d’un insigne honneur et non signe de reconnaissance d’une quelconque compétence. Jean-Pierre Chevènement, ancien Ministre d’État du Président français François Mitterrand, n’aurait pas mieux exprimé ses douloureux ressentis, lui à qui revient la paternité de la célèbre formule de dépit “Un ministre, ça ferme sa gueule ; si ça veut l’ouvrir, ça démissionne “.

En Afrique subsaharienne où la loi fondamentale est sans relâche piétinée et pillée en ses ambitions-clé par le Chef de l’État en personne, ignorant à la carte et peu soucieux de son rôle de gardien de la Constitution, la fonction de Premier Ministre est créée et supprimée à l’envie. Elle est présentée tantôt comme celle du premier des ministres et tantôt comme celle du premier des innombrables conseillers du Président de la République dans un environnement de lutte d’influence et de rapport de force manifestes.

Premier des ministres ou premier des conseillers du Chef de l’État, la fonction de Premier Ministre en Afrique subsaharienne expose le promu, le dépouille de confort administratif et le prive de vertu. À ce propos, elle est permanemment en compétition avec celle aux attributions informalisées de conseillers dans l’ombre ou de conseillers de proximité du Chef de l’État, bien souvent avec rang et prérogatives de super-ministre ; ceux-ci ont le triple privilège d’être dans une fonction régalienne sans l’être, de cheminer en véritables rats de la Présidence de la République et d’être directement rattachés au Chef de l’État en personne pour assurément nourrir les intrigues, faire douter et si besoin fragiliser avec constance le Premier Ministre qui, jamais et au grand jamais, ne devrait prendre de l’ascendance pour porter ombrage au Président de la République ou plutôt à sa personne. Alors, pour que tout ceci ne grippe pas au détriment du Chef de l’État, le Premier Ministre est “démissionnable” à l’envie ; la fonction est créée puis supprimée à l’envie aussi. Même les militaires, animateurs de régimes politiques d’exception, s’affublent de plus en plus de Premier Ministre parce que tout compte fait, la fonction se présente rutilante de symbole ; en effet, elle désanonyme et confère une illusion de visibilité à une équipe gouvernementale forcément l’ombre d’elle-même face à une autorité militaro-putschiste souvent volubile à saouler.

En Afrique subsaharienne, un Premier Ministre ne sert que l’ego narcissique du Chef de l’État et le CV du promu ; il est préposé à jouer au pantin dans une République en déficit de démocratie, à avaler des couleuvres et à défendre bec et ongles l’indéfendable le cas échéant. Une fois activée, vu sa nature plus cosmétique qu’utilitaire pour la République, la fonction devient inutilement budgétivore et à souhait. Un Premier Ministre subsaharien est à cet égard d’une nuisance certaine pour le budget national car il n’apporte rien au contribuable en services publics ou institutionnels ; il constitue en outre un détour chronophage et un goulot d’étranglement de plus d’une administration publique pernicieusement politisée au profit exclusif des tenants du pouvoir d’État, peu performante, en peine avec la corruption et dont au demeurant toutes les décisions structurantes remontent immanquablement au Chef de l’État en personne ; rien, absolument rien de ce qui compte, ni allocation de marché public, ni attribution de poste de responsabilité régalienne, ni orientation de politique générale ne relève de la compétence d’un Premier Ministre subsaharien en dépit du positionnement et de la flamboyance de la fonction dans le décorum gouvernemental en particulier et institutionnel en général.

Un Premier Ministre subsaharien a tout d’un parfait zélateur, au sommet de sa carrière politique, et pas grand’ chose d’un proche collaborateur de Chef d’État. Sa déclaration de politique générale relève d’une pure formalité qu’il s’imposera si nécessaire d’accomplir au titre du cahier des charges de la fonction ; son contenu n’est toutefois qu’un patchwork de copié-collé de l’action gouvernementale en production ou en prévision, précédemment validée par la majorité présidentielle, cette autre appellation du Chef de l’État en personne. Il n’aura guère besoin d’en modifier la trame si celui au nom de qui il prononce sa déclaration de politique générale est le même d’une mandature à l’autre, parce que fossilisé parfois dans la fonction de Président de la République, comme peuvent l’être des momies dans des sarcophages.

Et non des moindres paradoxes, la fonction de Premier Ministre subsaharien est dépourvue de fait et parfois de jure de prétention successorale pour le fauteuil de premier magistrat en dépit de sa teneur exécutive par essence. La personnalité dans la fonction de Premier Ministre ose-t-elle en Afrique subsaharienne afficher des velléités successorales ? Elle ouvre dès lors son compteur personnel de persécutions en tous genres, pervertit son ascension et pas seulement politique mais toute son ascension sociale et déclenche elle-même sa descente aux enfers pour crime de lèse-succession à sa Majesté le Chef de l’État.

Un Premier ministre subsaharien est finalement formaté pour amuser la galerie de la gouvernance publique partout où des zélateurs sont ordinairement positionnés par des despotes en lieu et place d’administrateurs civils compétents. Tant et tant d’exemples font sourire, à chaque nomination ou démission, de comment la haute fonction de Premier Ministre de la République est bâclée, méprisée, banalisée voire ostracisée par des Chefs d’État en fragile légitimité sinon en totale illégalité pour avoir parjuré ou trahi la Constitution. Aussi longtemps que les tenants du pouvoir ruseront avec les salutaires règles et processus démocratiques ou violeront leur serment de gardien de la Constitution, pour confisquer les rênes d’accès apaisé à la magistrature suprême, la fonction de Premier Ministre ne vaudra pas mieux que celle d’un laudateur-nègre de service.

En substance, l’exception confirmant la règle, les Premier-Ministres en Afrique subsaharienne, homme ou femme, sont ordinairement un regrettable produit composite de dérèglements de processus démocratiques, de gouvernance mal à propos et de bon vouloir d’hommes forts à la tête d’institutions républicaines affligées.

Vilévo DEVO, 04 août 2024.

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