
Niger, Burkina Faso, Mali. Ces trois pays dirigés par des militaires se retirent progressivement des organisations régionales et internationales. Après leur retrait de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en faveur de la création de l’Alliance des Etats du Sahel (AES), les autorités nigériennes, burkinabés et maliennes annoncent leur retrait définitif de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Dans ce contexte d’isolement diplomatique, les Etats de l’AES peuvent compter sur le Togo et le Ghana qui s’engagent dans une guerre commerciale.
Le jeu des putschistes
En quittant dans la précipitation les organisations communautaires et internationales, les autorités militaires s’affranchissent des pressions de ces organisations. On se rappelle les tensions qui ont eu lieu entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger suite aux différentes manœuvres de ces pays pour se soustraire à l’obligation d’un retour à un régime civil.
En se retirant de la CEDEAO, les militaires ne sont plus contraints de respecter les dispositions de cette organisation qui leurs font obligation de rendre le pouvoir aux civils en organisant des scrutins respectueux des normes démocratiques. Idem pour la Francophonie qui promeut au-delà de la langue de Molière, le respect des normes internationales en matière de démocratie et de respect des droits de l’homme.
Derrière le paravent de la souveraineté brandi par les putschistes pour justifier leurs retraits des organisations se cache en réalité une volonté inavoué de conservation du pouvoir.
Au Mali par exemple, la promesse de la fin de la transition pour le 26 mars 2024 n’a pas été tenue. Après la fin légale d’une seconde transition démarrée le 6 juin 2022 conformément à la loi portant révision de la charte de la transition, les autorités maliennes peinent à fixer une date butoir pour la tenue des élections. Depuis le coup d’État d’août 2020, les militaires semblent se soucier peu du retour à l’ordre constitutionnel. Les assises organisées en mai 2024 dans le pays ont débouché sur une proposition de rallonge de 3 ans de la transition.
Au Burkina Faso, la transition a été récemment prolongée. Les militaires se sont accordés cinq années de plus, à compter de juillet 2024. Bref, ils seront en place jusqu’à juillet 2029, au moins. Ainsi, après son arrivée au pouvoir en septembre 2022, Ibrahim Traoré s’offre un septennat à la tête du pays.
Au Niger, la situation n’est pas plus reluisante. En février dernier, les travaux d’une commission mise en place pour discuter sur la transition ont abouti à des conclusions similaires à celles des autres pays de l’AES. « La durée de la transition est fixée à soixante mois pouvant évoluer en fonction de la situation sécuritaire, du cahier des charges de la refondation et de l’agenda de la confédération des Etats du Sahel », a déclaré un responsable de la commission. En d’autres termes, la transition est désormais de cinq et court jusqu’en juillet 2028, à condition que rien ne vienne perturber cette transition. En cas de perturbations, la junte militaire reste au pouvoir.
Guerre commerciale autour des pays de l’AES
Depuis les coups d’État successifs au Niger, au Mali, au Burkina Faso et en Guinée, le Togo est le seul de la CEDEAO à se montrer conciliant avec les régimes militaires. Le pays a d’ailleurs ouvertement joué le rôle de conseiller pour ces pays, en témoignent les nombreux voyages du ministre des Affaires étrangères du Togo dans ces pays. Sanctions de la CEDEAO, isolements diplomatiques et commerciales, etc. le Togo s’est montré réticent à suivre les directives de l’organisation communautaire.
Saisissant la balle au bond, les pays ont officialisé leur rupture avec la CEDEAO en créant l’AES. Mais aussi curieux que cela puisse paraître, c’est le Togo qui joue l’emmerdeur au sein de la CEDEAO. Comme si le pays n’avait pas assez contribué à affaiblir et discréditer l’organisation, il annonce ses intentions de rejoindre l’AES.
Dans une publication le 11 mars 2025 sur sa page Facebook, le ministre Robert Dussey écrivait que le Togo pourrait rejoindre l’AES. « Accès stratégique maritime, unité politique renforcée, souveraineté africaine affirmée », arguait-il.
En effet, ce rapprochement forcé annoncé ne se justifie que par le premier point des arguments avancés par le ministre des affaires étrangères, le reste relève du populisme et de la propagande contre qui on sait. Si le Togo a tenu à maintenir des relations étroites avec les putschistes des différents pays de l’AES, c’est en raison, entre autres, du gain économique que le pays en tire. Le Togo joue ainsi sur tous les tableaux afin que le port de Lomé soit le chouchou des pays de l’AES.
Cette publication du ministre des affaires étrangères est d’autant plus révélatrice d’un début de guerre commerciale avec le Ghana qu’elle intervient 24 heures seulement après la fin de la tournée de John Dramani Mahama dans les pays de l’AES.
Du 08 au 10 mars, le président ghanéen a rendu visite aux militaires à la tête des pays de l’AES. Objectif affiché, les convaincre de revenir au sein de la CEDEAO avec laquelle il y a eu rupture. « Je pense qu’il y a une rupture de confiance entre les dirigeants. Il faudra du temps pour la reconstruire, mais nous devons y travailler afin de rétablir la confiance entre nous et de pouvoir travailler ensemble“, a déclaré le président ghanéen au terme de sa visite.
Mais ce qui n’a pas été claironné, c’est le côté mercantile de la tournée du président Ghanéen. Selon le communiqué conjoint publié suite à la rencontre Mahama-Tiani, les deux chefs d’État « ont réaffirmé leur commune volonté d’impulser et de dynamiser la coopération bilatérale entre les deux pays », évoquant même « la nécessité de renforcer la coopération au plan politique, économique, scientifique et culturel entre les deux pays ».
En cherchant un rapprochement trop étroit avec l’AES, le Ghana va grignoter en partie les privilèges du Togo, surtout en matière commerciale et d’accès à la mer, le Bénin n’ayant pas encore soldé ses différends avec les militaires. La réponse du ministre des affaires étrangères du Togo se situe donc dans la logique du meilleur enchérisseur, comme dans une vente aux enchères. Pour l’heure, en réaffirmant son intention impopulaire d’adhérer à l’AES, le Togo fait la plus grande offre à l’endroit des putschistes. La guerre commerciale n’est qu’à ses début !
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