En marge de la fête traditionnelle du Tezan, l’élite du canton de Nyogbo-Sud se mobilise pour régler par elle-même la question cruciale du développement local.
Le 31 août dernier, les Nyogbo-Sud célébraient Tezan, la fête des prémices de l’igname, dont le mets est le plus prisé dans la région. Une fête qui vient du fond des âges. C’est l’une des fêtes traditionnelles chez les Ewé d’Agou qui a le plus d’écho sur le plan national. «Tézan est une fête des moissons, parce que notre peuple est majoritairement agriculteur et on produit l’igname qui est notre production agricole principale. Et donc, quand on fait des récoltes on veut dédier les prémisses des ignames aux ancêtres, à nos dieux », souligne Mawulolo Roger Lasmothey, Président du Comité d’organisation de Tézan 2024.
En 1973, dans la logique de sa politique de l’authenticité, l’ancien régime du RPT instaura la célébration des fêtes traditionnelles. L’idée qui guide une telle orientation politique est que les valeurs culturelles des communautés pourraient servir d’éléments pour une prise de conscience nationale. Pour le type de développement que voudrait le Togo, il faut considérer les valeurs culturelles positives comme une sève nourricière.
Chez les Nyogbo, il y a en principe deux fêtes en ce qui concerne les cultures. Il y a d’abord «Gbagba» pour lancer la saison des semences d’une façon générale puis «Tezan», en août ou septembre, pour les prémices où l’on sacrifie aux mânes des ancêtres et à la Providence. Si cette année on célèbre le 50ème anniversaire depuis 1974, les Nyogbo, quant à eux, ont toujours célébré Tezan depuis les temps immémoriaux. Chaque quartier, chaque clan, sacrifiait alors à ses mânes les prémices de l’igname.
Cette année la célébration revêt un caractère particulier. Les filles et fils du pays entendent dépasser le caractère folklorique de Tezan et exploiter l’occasion habituelle de cette manifestation pour en faire un levier de développement local.
Rassembler, réconcilier les enfants issus de la localité et ses démembrements diasporiques avec le terroir ; concevoir le développement comme la création de conditions internes favorables à une production endogène. Mais aussi se doter d’une mémoire historique et surtout souligner la nécessité pour tout citoyen du canton de considérer les richesses culturelles de la localité comme un trésor à garder jalousement, et qu’il faut améliorer quantitativement et qualitativement, l’élaboration de telles manifestations étant une œuvre de création collective.
Cette vision se noue d’abord dans l’unité de ce canton de Nyogbo-Sud lors de l’aspect spectaculaire de Tezan qu’est la procession flamboyante des six quartiers avec en tête de cortège le chef de chaque quartier. Sur des rythmes du terroir, on retrouve la danse des guerriers, les fameux Assafo à la terrible réputation historique, les danses vaudous, avec les femmes en transes. On peut aussi découvrir un héritage de la colonisation : un casque militaire du 2ème Reich allemand porté par le chef du quartier Sagblefeme. Lequel casque serait offert par un officier allemand lors de l’établissement des contacts avec les Nyogbo. On découvre surtout des chefs portés dans des « Apakè » par leurs sujets, un rappel historique de la considération que l’on tenait aux chefs de tribu chez les Ewés avant l’irruption de la colonisation. Ce qui contraste avec la perte du respect dû aux chefs que l’on constate de nos jours.
Culture et développement local
Dans un pays où les carences de développement de l’Etat sont manifestes, certaines communautés ne veulent plus attendre le ruissellement du sommet voire attendre les avantages des communes. A Agou-Nyogbo Sud, les élites du canton s’organisent pour prendre en charge le développement de leur localité. Anciennement issue des riches planteurs de café et de cacao, l’élite de Nyogbo-Sud aujourd’hui, riche et variée, est composée de ses ressortissants urbains et diasporiques, de hauts cadres qui ont idée de s’occuper par eux-mêmes du développement de leur canton. Ces élites se regroupent dans plusieurs associations comme Solidarité Agou-Nyogbo, Nyogbo Vision, Fiesta, Arts et Culture et Nyogbo Tradition.
En dépit de l’humilité des dirigeants associatifs, force est de reconnaître que le bilan est loin d’être modeste. Pose d’une dizaine de lampadaires solaires, réfection de la deuxième route principale qui monte au flanc de la montagne (+250 m, pavée de gravas de granite, gravier et ciment), construction d’une salle de classe pour le jardin d’enfants de l’école primaire publique, consolidation du pont à l’entrée du village (renforcement des bords et des gardes-fougarde-fous), sont quelques-unes des réalisations, sans compter les soutiens aux élèves.
En projet, la réhabilitation d’une partie de la route de 13 kms qui relie Nyogbo-Sud à Kpalimé via Tové. Elle présente l’intérêt de ne plus passer par la bretelle qui va à la nationale 3 ; un raccourci.
Dans un pays en butte entre modernité et tradition, opposition entre religions importées et religion traditionnelles, des questionnements existentiels pour tourner le dos aux valeurs ancestrales, Nyogbo Sud n’est pas en reste. D’où l’intérêt philosophico-politique d’un retour aux sources comme les célébrations des prémices. C’est ainsi aussi que naît la conscience politique, la conscience citoyenne, la conscience de l’engagement, que le citoyen doit surtout se consacrer au bien-être de sa communauté.