Société

Faouzia Brym, 34 ans, femme d’affaires dans un secteur très masculin

Alors que la tendance est à l’émigration massive hors d’Afrique vers d’autres cieux considérés comme plus cléments, Faouzia Brym, à l’instar de certains cadres africains formés et résidents en Occident, a pris le chemin inverse pour se faire une place sous le soleil des tropiques. Portrait d’une femme battante pour la journée mondiale du 8 mars 2023.

Décembre 2022. Foire internationale de Lomé. Au stand de la Société internationale de distribution (SID), sur une musique congolaise entraînante, Faouzia Brym, 33 ans, svelte, robe longue jaune doré, talons aiguilles, esquisse une danse tout en indexant le panneau publicitaire de ses produits, des peintures haut de gamme produits par SIPPEC, une société ivoirienne. Electrique, Faouzia Brym sourit de bonheur: depuis trois ans sa société roule sur un rythme de croissance. 15 employés dont une majorité de femmes, et des dizaines d’emplois indirects au Togo.

Cette polyglotte multi-diplômée a réussi son pari : quitter son confort de Bruxelles où elle officiait comme chargée de mission dans un cabinet d’avocats pour faire son trou dans les affaires en Afrique.

Cette polyglotte multi-diplômée a réussi son pari : quitter son confort de Bruxelles où elle officiait comme chargée de mission dans un cabinet d’avocats pour faire son trou dans les affaires en Afrique. Et dans quel domaine ? La peinture- bâtiment, un secteur hyper masculin et rudement concurrentiel.

Au Togo, deux sociétés de production locales inondent le marché depuis des lustres, et d’autres produits d’importation arrivent du Ghana, vu la porosité de nos frontières.

Aujourd’hui, SID a des marchés au Togo, et fait un travail reconnu par les professionnels. En développement, Faouzia Brym met une autre corde à son arc et se lance également dans la représentation médicale en 2022.

Aujourd’hui, elle dirige également une société médicale spécialisée dans l’import des équipements d’aphérèse et de la chaîne de froid.

Accouchement difficile. Et pourtant la situation n’était pas des plus roses quand elle a ouvert boutique en 2016 boulevard de La Libération. A l’origine, son produit, une peinture importée qui suscitait indifférence, méfiance, incompréhension, de la clientèle. «Je pense que dans ces années-là, les problématiques d’environnement n’étaient pas aussi prégnantes qu’aujourd’hui.Les gens pensaient qu’il s’agit de peinture pour des riches, etc… Peut-être que maintenant, ça pourrait marcher », dit-elle.

«La première année, j’ai dépensé toutes mes économies», avoue-t-elle.

Faouzia Brym

La société manquait de dynamisme, de rythme. «Quand je partais au Togo, ça marchait bien, mais quand je retourne en Belgique, la dynamique baissait », raconte-t-elle. Elle décide alors de prendre les taureaux par les cornes. On n’est jamais mieux servi que par soi-même, dit l’adage. Revenir prendre le gouvernail elle-même.

« En 2017, j’ai décidé de revenir totalement me concentrer sur ce projet, parce que ça ne servait en rien de faire des allers-retours, Parce que je pense que peut-être je n’avais pas pris le temps de poser des bases, de recruter les bonnes personnes, leur inculquer les valeurs de la société, la culture de la société, etc…», dit-elle. « J’ai alors vidé ma maison, j’ai fait un container. C’était une excuse pour ne plus retourner », raconte-t-elle.

Elle rentre alors en août, en pleins soubresauts démocratiques, un climat délétère aux affaires. Les manifestants occupaient l’avenue de la libération à Tokoin Ramco.

C’était la cata. La galère. «La première année, j’ai dépensé toutes mes économies», avoue-t-elle. «Mais je me suis dit est-ce que je me suis mis dans les conditions adéquates pour réussir. J’ai décidé de faire encore un an pour voir ce que ça va donner, en mettant plus d’énergie, plus d’engagement », se reprend-elle.

Fin d’année 2018, bilan négatif. Mais en fin d’année 2019, «j’ai vu que ça a commencé à donner».

Une idée originale. La SID prospère grâce à son modèle économique unique sur le marché. La société ne fait pas que de la distribution, elle assure surtout un service après-vente. Faouzia a le nez creux : les peintres ne connaissent pas les nouvelles innovations en peinture. La société assure alors des formations en renforcement des capacités des peintres pour qu’ils soient mieux outillés sur le choix de la peinture, son application sur les surfaces, etc… Ainsi, la société dispose d’une base de données de peintres pour assurer le service après-vente sur des chantiers au Togo.

Flashback. Une enfant vite. Faouzia Brym est née en 1989 à Lomé. Elle a son CEPD et s’envole plus tard pour Bruxelles où elle obtient rapidement le Certificat d’études de base (CEB), puis le Certificat d’Enseignement

Secondaire Supérieur (le baccalauréat en Wallonie, NDLR), une licence en sociologie, un Master en coopération internationale, un Master of Arts en politique internationale.Puis elle arrête après une classe en droit des affaires parce qu’elle a commencé à travailler à l’agence Wallonie-Bruxelles Internationale, l’agence de relations internationales de la Belgique francophone, où elle a œuvré pendant un an dans la section coopération-développement. Le financement de projets bilatéraux en direct, les activités génératrices de revenus, l’aide à la formation, sont au coeur de son travail.

« C’était vraiment intéressant parce que tout qui m’animait, c’est de rentrer en Afrique ; pas forcément au Togo », dit-elle. « Et ce qui était le moteur pendant mes études, c’était d’aider les gens à sortir de la pauvreté », ajoute-t-elle.

Faouzia Brym lors d’une exposition-vente

Féministe à bas bruit

Comment Faouzia arrive à percer dans un secteur dominé par les hommes ? Le sujet effleure à peine l’esprit de cette mère célibataire de deux garçons. Si elle est nantie de solides formations universitaires pouvant lui  permettre de damer le pion à beaucoup d’hommes en société, Fawzia se considère surtout comme le fruit d’une culture familiale et des épreuves personnelles.

Une anecdote : «Un jour, au cours d’une dispute avec quelqu’un qui visiblement comptait sur ses burnes, je lui ai fait savoir que je n’ai pas eu un homme dans mon éducation ; par conséquent il devrait s’attendre à ce que je ne me laisser pas faire », raconte-t-elle.

Sa famille ? Une histoire de femmes qui portent le pantalon. Sa grand-mère maternelle a élevé seule ses enfants ; idem pour sa mère qui les a élevés toute seule.

Même dans l’éducation des enfants, je n’ai pas toujours eu ce modèle de papa/maman, j’ai toujours connu des femmes indépendantes qui arrivaient à s’épanouir aussi bien dans l’éducation des enfants que professionnellement

Faouzia Brym

Mère très tôt elle-même à 17 ans alors qu’elle était en classe de terminale, elle a réussi son baccalauréat malgré les quolibets et a élevé son enfant en dehors de toute autorité paternelle.

«J’ai eu la chance d’avoir des modèles de femmes. Ma grand-mère qui est une femme battante, à élever toute seule ses trois enfants. Ma mère qui est également une femme battante est la première femme africaine à ouvrir un restaurant en Belgique. Ce ne sont pas des femmes qui se donnent des excuses…. De manière naturelle, ça m’a forgé. Donc dès le début, pour moi, une femme peut tout faire… », dit-elle.

Avant d’enchaîner aussitôt en allant jusqu’au bout de sa réflexion : «Peut-être serait-ce excessif ? Mais il m’arrive de penser qu’on n’a pas nécessairement besoin d’un homme pour joindre les deux bouts. Même dans l’éducation des enfants, je n’ai pas toujours eu ce modèle de papa/maman, j’ai toujours connu des femmes indépendantes qui arrivaient à s’épanouir aussi bien dans l’éducation des enfants que professionnellement ».

Faouzia est peut-être une féministe qui s’ignore, mais elle ne fait pas du féminisme, son leitmotiv. Ce qui compte pour elle, c’est d’outiller les femmes à sortir des contraintes sociales, à franchir les barrières. C’est ce qu’elle faisait déjà en Belgique quand elle militait dans une association belge qui intervenait au Togo auprès de jeunes filles en difficultés.

«On est dans un pays de Nanas Benz, dans un pays où des femmes de manière naturelle ou historique ont été des leaders, des chefs d’entreprise. Déjà pour moi, c’est un modèle. Ça ne veut pas dire qu’à l’époque qu’il n’y avait pas des difficultés, mais elles ont dépassé ça. Si elles ont pu faire ça, c’est que nous aussi de notre époque, on peut y arriver», conclut-elle.

Manifestement ce n’est pas avec Faouzia qu’on créera un courant féministe togolais. Elle est dans l’action. Car c’est dans l’action qu’on repousse les limites des barrières sociales, artifices construits de façon inavouée contre les femmes.

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