Politique

L’Agboyibisme vole en éclats au cours du congrès du CAR

Du 29 au 30 avril dernier, le Comité d’action pour le renouveau (CAR), était réuni en congrès statutaire pour élire un nouveau bureau, trois ans après le décès du fondateur Me Yaovi Agboyibo. Décliné sous le thème, «L’agboyibisme, un impératif pour un Togo démocratique», ironie de l’histoire, pas de bol, le congrès s’est terminé en pugilats.   

Des poings dans les figures, des micros qui s’arrachent dans le désordre, des cris de désapprobation des congressistes, et candidats à la succession de feu Yawovi Agboyibo qui peinent à s’entendre. A quelques mois des élections législatives, alors qu’il est à la recherche d’un leader, le parti laissé en héritage par le Bélier Noir, le fourrier même du dialogue comme comportement politique, se fissure et brûle sur l’autel de la division.

 L’événement censé tourner la page de l’éternel président du CAR a plutôt servi à le ressusciter. C’était prévisible puisque de multiples questions se posent depuis le décès en France en mai 2020 de l’ancien Premier-ministre. « Qui succèdera au prophète du dialogue ? », se demandait-on. Dans les coulisses, des voix avaient évoqué la possibilité d’une succession de père en fils à travers la personne de Me Pascal Agboyibo. Cette piste semble abandonnée, l’intéressé ne manifestant pas l’envie d’embrasser une carrière politique comme son père.   

Trois ans après la disparition de Me Yawovi Agboyibo, le congrès organisé par le parti s’est terminé en queue de poisson. Le principal blocage concerne la présidence du parti. Ils sont finalement quatre à convoiter ce poste de premier responsable qui est en fait un tremplin pour briguer la magistrature suprême.

Les candidats sont Jean Kissi (ancien secrétaire général du parti et conseiller municipal Golfe 5), Togbui Dagban (chef traditionnel et président fédéral Lomé), Yao Daté (plusieurs fois membre de la CENI) et Mme Akossiwa Yemey (enseignante de profession) dont on sait peu de choses.

Il faut le dire, aucun des candidats en lice n’a l’étoffe de l’ancien président. Agboyibo réunissait beaucoup de qualités pour faire un chef « légitime ». En effet, il avait la paternité de son parti et en était le principal financier. Il avait surtout une intelligence et un sens remarquable de la ruse, des états de service imposants, une série de combats et de cicatrices à son actif, un narratif, un roman, une légende lui assurant une certaine aura. Un charisme indéniable.

Les candidats sans qualités

Certes, … mais ce n’est pas parce que Agboyibo avait ces qualités et que celles-ci lui ont conféré une légitimité, qu’il les faut pour avoir de la légitimité… Un autre homme ou une femme sans ces qualités, voire un homme-sans-qualité aucune peut être tout autant « légitime ». Les bagarres entre lieutenants sont structurales et n’ont à voir qu’avec la situation de vacance de la place de leader dans la structure. On s’attend donc à de durs combats pour voir s’imposer un leader.

Il y a d’abord, Jean Kissi, ex-secrétaire général et conseiller communal, qui aurait pu faire l’affaire. Il était un fidèle de chez les fidèles, surtout quand le chef était décrié et était de ceux qui étaient à la base du retour controversé d’Agboyibo à la tête du CAR. En plus, il a épousé la servante du maître et peut être considéré comme son beau-fils. Mais tous ces attributs sont insuffisants pour imposer Jean Kissi. Il est vrai que son statut de fonctionnaire de l’administration n’aide pas beaucoup du point de vue financier.  

Il y a aussi l’entrepreneur Togbui Dagban Zonvidé, chef traditionnel, qui s’est lancé depuis trois ans dans une campagne pour succéder à Me Agboyibo. D’ethnie Bè, il critique la volonté de ses adversaires de faire du parti un machin exclusif de la communauté Ouatchi, et compte, lui, en faire un parti réellement national. Il est mal vu de certains militants qui le récusent.

Quant à Daté Yao, il est soupçonné d’être proche d’UNIR, le parti au pouvoir. Les autres candidats ne pèsent pas non plus. En réalité, les vrais candidats potentiels étaient les anciens cadres ayant fait défection pour créer les Forces démocratiques pour la République (FDR)… à cause du retour d’Agboyibo.

L’échec de l’Agboyibisme

De toute évidence, feu Me Yawovi Agboyibo n’a pas préparé sa succession. Cela éviterait au parti cette crise de légitimité dont souffrent les différents candidats. De son vivant, le maître n’a jamais su désigner un successeur «naturel», un dauphin. Il s’est plutôt octroyé une présidence à vie.  

Malheureusement, les prétendants aux trônes ne lui arrivent pas à la cheville. Non pas par ignorance ou incapacité, mais parce que de son vivant, l’ancien président du CAR s’est imposé comme l’âme du parti sans laquelle le vide se crée. Dans les années 1990, peu de Togolais pouvaient s’imaginer le parti sans son président. D’ailleurs, le logo du CAR était symbolisé par la personne d’Agboyibo. C’était un bélier noir (Agboyibo, en Ewé) dans un soleil jaune sur fond bleu. Ce n’est que lors des législatives de 2007 que le parti s’est défait de ce logo trop personnel pour adopter celui avec un soleil rouge, la couleur actuelle du parti.

Ce que les responsables, militants et sympathisants du CAR ont refusé de reconnaître, c’est l’évidence que Me Yawovi Agboyibo s’en est allé en emportant avec lui le parti dans l’au-delà. Pour le relever, il faut aller au-delà d’un simple congrès. Ce dimanche 30 avril 2023 restera donc gravé dans les mémoires comme le jour où les dépositaires de la vertu du dialogue ont refusé tout compromis. La scène répugnante à laquelle l’opinion assiste depuis 3 ans n’est que le fruit de la manière dont le parti a été dirigé du vivant de son fondateur, dans la division, la médisance, la calomnie et les prises de position motivées par des intérêts personnels.

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