Politique

Le recensement électoral tourne au grand désordre

Le recensement électoral a débuté à Lomé et dans la Région Maritime depuis le 4 mai. Cependant, malgré l’engouement des populations, l’infrastructure mise en place par la CENI ralentit les opérations et décourage les personnes qui se déplacent vers les centres d’enregistrement. Signe du chaos qui règne, le président de la CENI produit, à la surprise générale,  un communiqué dans lequel il accuse les opérateurs de saisie.

Trois jours pour se faire recenser. « J’étais là lundi, mardi, en vain. Ce mercredi, je suis encore là et il est déjà midi. Je ne sais pas si je vais pouvoir obtenir ma carte d’électeur aujourd’hui malgré le peu de personnes qui doivent passer avant moi, mais je ne suis sûre de rien », raconte une dame que nous avons interrogée dans un centre de recensement à Lomé.

« Je suis venu pour l’enregistrement mardi mais à cause de l’affluence, je n’ai pas été enrôlé. Le soir avant la fermeture des bureaux, ils nous ont attribué des numéros pour faciliter notre inscription le lendemain. Ce matin (mercredi, Ndlr) je suis venu très tôt et vers midi, j’ai pu obtenir ma carte d’électeur. Je suis vraiment soulagé », nous fait savoir un électeur.

Ce dernier, l’auteur de cet article l’a identifié dans un centre de Nyékonakpoè, le mercredi matin alors qu’il sillonnait les centres de recensement pour prendre le pouls de la situation. Dans l’un des centres, avant que le soleil ne montre ses gencives s’était formée une longue file, en attendant l’arrivée des opérateurs. Pour éviter la lassitude, certains se sont munis de tabourets ou de chaises pendant que d’autres prenaient place sur des bancs d’une boutique située à proximité de l’école où se tenait l’opération d’enrôlement.

Un engouement pour le recensement jamais imaginé

Les Togolais ne sont pas contre la tenue des élections. Depuis les années d’indépendance, ils ont manifesté un certain intérêt pour la question politique et électorale. Dans les années 2000, cette adhésion au processus électoraux était à son paroxysme, avant le désintérêt manifesté après les événements de 2017 et l’élection présidentielle de 2020 soldée par une guerre fratricide au sein de l’opposition traditionnelle. Sans ambages, les analystes sont unanimes à déclarer que les Togolais ne s’intéressent plus à la politique.  

Cependant, pour cette année, l’annonce du recensement électoral et l’engouement qui suit semblent dire que les Togolais sont enfin décidés à reprendre leur destin en main en participant aux élections, en tout cas à s’enregistrer. Depuis le 29 avril, les centres de recensement, toujours noir de monde, ne désemplissent pas. Vieux, jeunes, femmes et hommes se bousculent pour se faire enregistrer. Des bagarres ont été même enregistrées dans certains centres où des citoyens ont tenté de briser l’ordre pour se faire enrôler sans perdre de temps.

Au sein de l’opinion et en écoutant les uns et les autres, on se rend compte qu’une forte partie des Togolais désire avoir la carte d’électeur. En fait, il ne s’agit pas d’un sursaut patriotique. C’est l’instinct de survie qui crée cet engouement chez la majeure partie des citoyens. La raison, c’est qu’il y a deux ans, alors que le monde subissait de plein fouet la crise de la Covid-19, le gouvernement décide de créer un fonds de solidarité et d’en faire bénéficier les catégories de citoyens faisant partie d’une couche socioprofessionnelle impactée par la crise. Les artisans étaient en tête de liste.

Mais pour avoir accès à Novissi, il faut disposer d’une carte d’électeur. Ceux qui n’en avaient pas obtenu après les évènements de 2017 ont été sevrés du transfert monétaire de solidarité. Ce choix, vraisemblablement politique, écartait ceux qui ont suivi l’appel au boycott de l’opposition.

Novissi constituerait en 2023, un aiguillon poussant des Togolais à se faire délivrer la carte d’électeur. D’autant plus que depuis un mois ou deux, l’ANADEB (Agence nationale d’appui au développement à la base) a fait enregistrer les ménages vulnérables qui bénéficieront dans quelques semaines d’un transfert monétaire. Et il se raconte que ceux qui ne disposent pas de carte d’électeur seraient écartés. Voilà l’une des principales raisons de l’engouement que l’on constate autour du processus électoral.

Une forte participation au recensement, le pari de l’opposition

Comme rappelé ci-dessus, depuis quelques années, les Togolais manifestent un dégoût pour les élections. Cela se reflète dans la baisse constante des taux de participation. Une chose est claire, les abstentionnistes ne sont pas considérés être proches du parti au pouvoir.  Mais, un faible taux de participation aux élections n’a jamais arrangé l’opposition, que ce soit au Togo ou ailleurs parce que les partisans du régime en place ne boycottent jamais les processus électoraux.

Le coup politique de Novissi pourrait jouer aujourd’hui contre le parti au pouvoir. C’est du pain béni pour l’opposition qui doit capitaliser sur la forte mobilisation autour du recensement pour en faire une force électorale. La tâche s’annonce ardue pour l’opposition, mais elle doit intensifier la mobilisation pour faire de chaque détenteur de la carte d’électeur un vrai électeur. Chaque parti politique doit œuvrer pour faire comprendre à chaque citoyen que sa voix compte. Si l’opposition traditionnelle réussit le pari de la mobilisation des électeurs, elle aura gagné en partie les scrutins qui s’annoncent. En attendant la bataille de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) et de la Cour constitutionnelle.

Il faut aussi souligner que la décision de l’opposition traditionnelle de participer aux prochaines élections ne réjouit pas toute la classe politique togolaise. Cette participation annonce le retour, après cinq ans, des principaux partis politiques de la défunte C14 qui constituent l’opposition au régime. Les partis politiques qui constituent l’opposition du régime, c’est-à-dire à la solde de ce dernier, pourraient passer des nuits blanches.

Un recensement à tâtons

Une semaine pour enrôler les millions d’électeurs du Grand Lomé et de la région maritime, c’est trop peu. Pour un recensement réussi, il faut au moins deux semaines pour la Maritime, le bassin démographique du pays. Nonobstant cette courte période d’enregistrement, la CENI a fauté, lourdement d’ailleurs, dans l’organisation du recensement. A Lomé comme dans d’autres villes du pays, des milliers de citoyens sont dans l’incapacité d’obtenir leurs cartes d’électeurs.  

La forte affluence dans les centres a-t-elle créé des dysfonctionnements au niveau des machines ? Peut-être. En tout cas, les ordinateurs déployés par la CENI ralentissent les opérations. De vieilles machines, à ce qu’il paraît. Les pannes ont été enregistrées dans la quasi-totalité des centres de recensement du Golfe 4 au Golfe 5 visités par l’auteur de cet article. Sans compter la lenteur qui est un problème technique prévisible mais que les services informatiques de la CENI n’ont pas anticipée.

Ce n’est pas une première parce que depuis plusieurs scrutins, ce problème de lenteur s’est toujours posé. Y a-t-il une volonté politique manifeste de réduire sensiblement le nombre d’électeurs ? A voir. Dans les centres que nous avons visités, la moyenne est de six (06) électeurs enregistrés chaque heure. En huit heures, cela fera 48 par ordinateur en une journée. D’autres font au maximum 100 ou 140. La faute aussi aux Opérateurs de saisie  (OPS) à qui l’on devrait imposer, pour la suite du recensement, un quota d’électeurs à enregistrer pour chaque journée. « Les OPS trainent aussi pour allonger le nombre de jours de travail prévus puisqu’ils sont payés en fonction du nombre de jours de travail », accuse un notable.  

Une affirmation que rejette un autre opérateur de saisie qui accuse les machines et le processus d’enregistrement biométrique. Pour certains, les empreintes digitales sont difficiles à scanner. En temps normal, trois minutes suffisent pour un Ce jeudi 4 mai, l’épuisement des fiches est constaté dans plusieurs centres, obligeant les responsables à mettre fin aux opérations.

Outre la lenteur, les imprimantes ont cessé de fonctionner à cause de l’épuisement de l’encre. « Nous avons signalé à la CELI depuis mardi, mais on nous a dit qu’il n’y a pas d’encre. C’est pour cela que certaines machines ne sont pas mises en marche », informe une source.

Difficile de savoir si les couacs des opérations sont dus à l’amateurisme de l’administration électorale ou à une volonté inavouée voire inavouable de bâcler le recensement pour lequel des centaines de millions sont mobilisés. A cette allure et en cas de couplage des élections législatives et régionales, il ne serait pas étonnant de voir dans certains bureaux de vote une seule urne pour les deux scrutins.

Dans tous les cas, pour le président de la CENI, Yabré Dago, les coupables sont connus. Dans un communiqué publié ce jeudi, il fait porter le chapeau des difficultés rencontrées dans l’enrôlement aux OPS les accusant d’opérer un ralentissement volontaire. Il n’a rien dit sur le plantage des machines et le défaut d’encre.

En réalité, les machines sont très insuffisantes et sont mal réparties. Sacré Togo !

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