Politique

Mais où est donc passée l’opposition ?

Dans l’esprit de Faure Gnassingbe, c’est autoroute internationale Paul Kagame, route de l’histoire ad vitam aeternam. En face, l’opposition, évanescente, sans visage, se la joue la 7ème compagnie.

Le 26 janvier dernier, la Cour des comptes rend public un « Rapport d’Audit du Fonds de Riposte et de Solidarité Covid-19 (FRSC), Gestion 2020 », dans lequel elle faisait état de nombreuses irrégularités portant sur près de 40 milliards CFA, soit 21% des 178 milliards du fonds (prêts, dons, et ressources internes de l’Etat) destiné à lutter contre la pandémie.

La Cour relève non seulement une gestion calamiteuse mais expose, en filigrane, au travers des violations voire du mépris crasse des textes relevant de la commande et de la dépense publiques, la médiocrité de l’administration.

Si le scandale suscite indignations sur les réseaux sociaux et quelques médias de la place, l’opposition reste atone voire aphone de façon assourdissante, y compris quand le gouvernement déclare avec aplomb, malgré les graves irrégularités relevées par la Cour, « [avoir] effectué un exercice de transparence de gestion et de redevabilité fortement louable » des fonds covid. Pour un pays qui emprunte chaque mois sur les marchés régionaux au moins 30 milliards CFA pour subvenir aux besoins vitaux de l’Etat, la gabegie constatée par la Cour des comptes devrait paraître comme du pain béni pour l’opposition…

2023 est pourtant une année électorale avec la tenue des élections locales et législatives probablement vers la fin du quatrième trimestre, alors qu’une présidentielle se tiendra dans deux ans. On devait donc s’attendre à ce que les oppositions au pouvoir s’activent et descendent dans l’arène…

Un théâtre politique comateux

Certes, depuis quelques semaines, constate-t-on sur le théâtre l’écume de quelques effervescences, le bruissement de quelques soubresauts de partis politiques par ci par là, un meeting ayant rassemblé une poignée de sympathisants.

Il en est ainsi de la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK), regroupement de minuscules partis politiques qui ont soutenu l’ancien baron du régime, Agbeyome Kodjo, à la présidentielle 2020. La DMK a organisé un meeting le 16 janvier dernier à Lomé, le premier depuis les répressions qui ont suivi la revendication d’une hypothétique victoire à la dernière présidentielle. Mais la DMK n’en mène pas large, avec son mythique Monseigneur Kpodzro, 92 ans, fer de lance et âme du regroupement et grand malade, auto-exilé en Norvège ; son candidat, Agbeyome Kodjo contraint à l’exil, abonné à des tweets insipides.

Idem pour l’ANC de Jean-Pierre Fabre, seul parti d’opposition pouvant revendiquer sans contredit une implantation nationale, dont le meeting du 12 février à Agoè (Grand-Lomé) n’a rassemblé qu’une flopée de militants et sympathisants, un symbole de la désespérance des militants.

Sorti lessivé de la présidentielle controversée de 2020 – son candidat Fabre est arrivé troisième d’après les chiffres officiels, loin derrière le candidat de la DMK -, l’ANC connaît un déclin inexorable dans l’opinion à cause des déconvenues électorales, et pâtit également de problèmes structurels qui annihilent tout espoir de renouvellement.

L’ANC, un parti menacé d’implosion

Agé de 71 ans, son président national Jean-Pierre Fabre cristallise les tensions, les frustrations, et suscite la contestation…quoique à bas bruit. Elu à la tête de la mairie du Golfe 4- plus riche commune sur le papier-, malgré les répétitifs et lassants insuccès, l’homme croit encore à un destin national et compte profiter du tremplin de la mairie.

Une opportunité fort contrariée depuis un an par le régime central qui a dépouillé les communes de leurs pouvoirs (politique et économique) essentiels, les rendant comme des dépendances du ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et du développement des territoires.

Cette velléité de rester maître et possesseur de l’ANC irrite. Bien de cadres reprochent à J-P. Fabre son manque de vision pour réformer un parti sclérosé par une forte présence de personnes du troisième âge, d’une bureaucratie handicapante, et d’en faire un parti inadapté au Togo du 21ème siècle où, avec la disparition du général Eyadema, les paradigmes et la démographie ont changé. Et même quand certains paradigmes peuvent encore opérer, comme celui de l’Ablodé (liberté, indépendance), le parti est incapable d’en exploiter.

Ainsi, le 60ème anniversaire de l’assassinat de Sylvanus Olympio n’a donné lieu qu’à une messe à la cathédrale, ou un petit pèlerinage à la maison du père de l’indépendance. Il s’agit pourtant d’un parti héritier du nationalisme togolais… La vacuité intellectuelle, le manque de réactivité politique. Il aurait dû demander service au trotskyste Claude Ameganvi, qui a abattu à lui seul un immense travail la mémoire du père de l’Indépendance.

Peut-être serait-ce LE handicap majeur DE L4anc, car la famille nationaliste repose sur ces vieilles familles, des certitudes, et développe de vieux réflexes partisans. Il y a par exemple 9 secrétaires généraux adjoints à l’ANC, d’où la quasi impossibilité de rédiger un simple communiqué dans un temps respectable. Idem pour les vice-présidents, en quantité anormale, sans oublier leur âge un peu trop avancé. On peut multiplier les exemples…

Sans renouvellement des instances et la préparation de la jeunesse pour prendre le pouvoir, le parti est mort. Le parti défraie la chronique depuis quelques jours avec l’exclusion de 9 membres de la fédération Europe-Asie, pour «…trahison politique, divulgations d’informations mensongères et diffamatoires sur le parti, mise en péril de la vie du parti, non-respect des consignes et directives du parti, intelligence flagrante avec des forces et acteurs extérieurs notoirement hostiles [à l’ANC] ».

Les 9 contestataires venaient en effet d’allumer le Bureau national coupable à leurs yeux d’avoir suspendu Ouro-Akpo Tchagnao, un éminent cadre de la région centrale et du Tchaoudjo, qui compte plusieurs fédérations. M. Tchagnao, en réalité suspendu le même jour que les 9 contestataires, a refusé de se présenter à la convocation du bureau national, et est accusé d’avoir pactisé avec un activiste-journaliste togolais résident en France, pour déstabiliser le parti. Dans un audio partagé sur le réseau social WhatsApp portant sur un montage d’échanges téléphoniques avec le fameux journaliste, Ouro-Akpo Tchagnao vilipendait Jean-Pierre Fabre et «la petite bande de crapules et d’arrogants qui se sont mis autour de lui… ». Ambiance, ambiance…

M. Tchagnao était pourtant vu par certains comme le successeur potentiel de Fabre. «Il est aussi radical, même fougue comme lui », dit un cadre qui a préféré parler sous anonymat, « mais l’audio reste un grand moment d’infantilisme politique, d’imprudence et de manque de sagesse évident ». «Il sait qu’il est grillé », ajoute-t-il.

Des dissidences en vue

Cependant, auto-isolé, mis en quarantaine, honteux, celui que l’on voyait comme le successeur de Jean-Pierre Fabre, ne nourrirait pas une bienveillance à l’égard du parti et pourrait être tenté de faire dissidence et créer un autre. Sa querelle avec le parti porte le germe d’une potentielle destruction dans la région centrale.

Et ce n’est peut-être pas la seule dissidence en vue au sein du parti. A l’orée des législatives, d’autres cadres des fédérations rêvent de listes indépendantes…

Avec la constitution des communes, des accointances ont été tissées entre les élus de différents horizons. Il y a des envies de grandir vite chez certains militants, et surtout de se refaire après 30 ans de lutte vaine.

Il y a aussi les affaires, enfin…des histoires. Le parti a, certes, su couvrir de tapis l’histoire ayant ébruité lors du décès d’un cacique, qui aurait des relations amicales avec des barons du régime et aidé financièrement dans sa maladie par le chef de l’Etat Faure Gnassingbé, mais cette stratégie de communication risque de coûter cher à l’ANC, à l’approche de la présidentielle.

Car, d’aucuns verraient en cette affaire, la preuve que les opposants sont cul et chemise avec le pouvoir, ou en seraient en tout cas les instruments.

En tout cas, tout a été mis en œuvre pour ça par le pouvoir (expert à se créer des faux opposants instrumentaux) et par l’opposition fatiguée de s’opposer vainement et tentée de rentabiliser un peu ses longs efforts. Ces situations rendent la situation difficilement lisibles et peu ragoûtante à une population passablement lassée par cette vaine «comédie» et naturellement encline à penser que tous sont pourris.

Boulevard pour le pouvoir ?

Oppositions émasculées, population désabusée, un boulevard s’offre-t-il au régime en place pour une dictature ad vitam aeternam ? On peut le redouter.

Le 28 janvier 2023, l’hebdomadaire britannique The Economist attirait l’attention sur la fin probable du processus démocratique au Togo dans son article : «A family business : Togo promises development, not democracy » (Une affaire de famille : Le Togo promet le développement, pas la démocratie). Selon The Economist, Faure Gnassingbé est attiré par le modèle rwandais, un Etat policier avec une gouvernance autoritaire avérée à orientation vers le développement.

«Une partie de la stratégie du Togo consiste en partie à faire preuve de suffisamment de technocratie pour séduire les occidentaux qui sont désireux de soutenir un régime stable et apparemment compétent dans une région instable », écrit The Economist.

Inutile de porter un regard critique sur le modèle rwandais tant porté aux nues par les médias et les officines occidentales ultralibérales ; le modèle sur lequel il y a pourtant beaucoup de choses à dire, comme les violations des droits de l’homme, le pillage de la RD Congo, les grandes souffrances humaines pour certaines classes sociales paupérisées et durement frappées.

La question de la pertinence de la démocratie ou de l’autocratie pour implémenter le développement, est un débat inutile, en tout cas en ce qui concerne le Togo. Comme dit dans l’Aide fatale, l’économiste Dambisa Moyo écrit que « dans un monde parfait, ce dont les pays pauvres ont besoin, ce n’est pas la démocratie avec plusieurs partis, mais un dictateur bienveillant et décidé capable de faire aboutir les réformes nécessaires pour un démarrage économique ».

L’ennui, c’est que Faure Gnassingbe a fait 17 ans de pouvoir et le Togo n’est pas plus avancé comme il était gros comme devant après 38 ans de pouvoir de son père. On lui donnerait un siècle que la situation serait étale.

La vision fait défaut. En principe, en 2022, le Togo devrait disposer des premiers diplômés en master nés sous Faure Gnassingbe. Mais quelle est la politique de l’éducation depuis 17 ans ? Quelle réforme de l’enseignement a-t-on eu en 17 ans pour avoir une adéquation entre la formation et la politique de développement.

Faure Gnassingbe peut et pourrait probablement faire 50 ans au pouvoir, mais il y a un risque pour le Togo de faire du surplace. C’est ce désastre que les Togolais, les oppositions doivent éviter.

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