Afrique

Projet d’une fédération Guinée-Mali-Burkina : Les chimères des putschistes   

Emis le 9 février dernier par le superficiel Premier ministre burkinabé Apollinaire Joachim Kyélem de Tambèla lors d’un mini-sommet à Bamako entre les trois pays, le projet d’une fédération Guinée-Mali-Burkina suscite l’enthousiasme auprès d’une frange non négligeable de l’opinion africaine gagnée par un néo-panafricanisme virtuel. Mais l’idée- une arlésienne- d’une fédération de pays africains à la suite de l’idéal des pères fondateurs du panafricanisme, n’est pas nouvelle, elle remonte aux années de l’indépendance, a  fait son chemin et connu de grotesques échecs. Retour  sur  des expériences dans l’histoire africaine et une petite analyse sur la pertinence ou non du projet de la junte burkinabé.

L’Union  virtuelle Ghana-Guinée

Le 2 octobre 1958, Sékou Touré proclame l’indépendance de la Guinée. En réalité, le leader guinéen du Parti démocratique de Guinée (PDG) -bras local du Rassemblement démocratique africain (RDA)- ne s’attendait pas à une accélération de l’histoire personnelle et celle de son pays à la vitesse du son. Quatre jours plus tôt, grâce à un concours de circonstances, un malentendu et une brouille des égo  entre lui et le président français Charles de Gaulle entraînèrent une rupture radicale entre la France et la colonie des Rivières du Sud, puis précipitèrent, tout en la dépouillant de tout, la Guinée dans l’indépendance…et la pauvreté.

Indépendant depuis 1956 et prospère grâce aux colossales ressources provenant de l’or et des matières premières café-cacao, le Ghana vola au secours de l’Etat nouvellement indépendant en l’appuyant d’un soutien budgétaire de 10.000 Pounds, soit 11.789.241 Euros  ou  7.763.590.313,29 CFA de nos jours. Il s’agit d’un appui immense  à cette époque, et Sékou Touré fut très reconnaissant à l’Osagyefo Kwame N’Krumah.

Le Guinéen était si enthousiaste que les deux parties créèrent, le 23 novembre 1958, au State House d’Accra, une fédération de deux Etats par un acte constitutif. On ne sut jamais la teneur entière de l’acte mais toujours est-il que les constitutions respectives des deux Etats prévoient des abandons de souveraineté  pouvant contribuer à la réalisation de l’unité africaine. Adoption d’un drapeau de la fédération qui s’inspirait de celui des 13 premiers Etats qui fondèrent les Etats-Unis, harmonisation de la politique étrangère des deux Etats, installation d’un ministre-résident en Guinée et au Ghana, idée de création d’un gouvernement guinéo-ghanéen.

Cependant l’Union demeura seulement dans les limbes : si les deux Etats devinrent des républiques socialistes et étaient, malgré leur proclamation d’un tiers-mondisme anti-impérialiste, plus proches de Moscou, le projet se heurta à des obstacles en chemin.

Pour des raisons techniques, il n’y eut jamais de liaison téléphonique ou télégraphique directe entre Accra et Conakry, et guère de ligne aérienne , soit 1000 kms de distance. L’anglais fut également un obstacle majeur pour faciliter le travail entre les deux nations, et malgré la sortie du CFA de Sékou Touré pour créer le Franc Guinéen, le Ghana  qui a adossé sa monnaie à la Livre Sterling britannique, était quelque peu réticent ou peu en phase avec les subtilités de la zone franc. Mais c’est surtout le déséquilibre économique et financier entre les deux Etats, qui,  faisant du Ghana le mâle dominateur du couple, doucha l’enthousiasme d’un Sékou Touré déjà empêtré tout comme N’Krumah d’ailleurs dans des affaires intérieures. Et, last but not the least, la création de l’OUA en 1963 et la volonté affichée du chantre du panafricanisme qu’est Kwame N’Krumah  de passer directement aux Etats-Unis d’Afrique suscitèrent des brouilles d’ego entre les deux présidents.

L’Union Ghana-Guinée fit long feu après le putsch contre l’Osagyefo en 1966. L’attitude de Sékou Touré qui accorde d’abord l’asile à Nkrumah puis le nomme co-président de la Guinée entraina la brouille entre le virtuel axe Conakry-Accra, avant de vouloir envoyer une force militaire pour déloger la junte au State House, exacerbe les tensions entre les deux pays.

Le nouveau régime du général Joseph Arthur Ankrah changea  alors complètement de politique étrangère en renouant avec ses voisins francophones, puis par la rupture avec  l’orientation socialiste et les pays de l’Est. La boucle fut bouclée en 1968 quand, au cours d’une escale de leur avion à Accra, la délégation guinéenne en partance pour Addis-Abeba, dans le cadre du  sommet de l’OUA, fut arrêtée et ne fut relâchée qu’avec la médiation des envoyés de l’empereur éthiopien Haïlé Selassié.

L’adhésion du Mali- divorcé de l’union avec le Sénégal- à l’Union Ghana-Guinée  ne peut être considérée que comme anecdotique.

Fédération Sénégal-Mali

Au départ, elle devait être une fédération de quatre ex-colonies françaises d’Afrique occidentale (Dahomey, Haute-Volta Soudan français et Sénégal). S’inspirant de la constitution de l’AOF (Afrique occidentale française), les principaux artisans de cette fédération, la plupart des socialistes et communistes du RDA cornaqués à l’époque par l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny, les leaders des principaux partis de ces pays conjuraient la balkanisation de l’AOF qu’ils voulaient garder comme tête de pont d’un futur Etats-Unis d’Afrique. Et trois des quatre ex-colonies de cette fédération était composée quasiment des mêmes peuples ayant des passés et des expériences communs sous différents empires de l’Afrique. La fédération n’était donc pas très compliquée à réaliser.

Mais sous la pression de Félix Houphouët-Boigny, fidèle d’une France favorable à la dislocation de l’AOF depuis l’échec de l’Union française ou de la Communauté franco-africaine, le Dahomey et la Haute-Volta firent défection. Restent alors le Soudan français de Modibo Keita et le Sénégal de Léopold Sédar Senghor et Mamadou Dia. Les accords prévoyaient un gouvernement fédéral, une Assemblée fédérale, une autorité judiciaire et une Cour fédérale.

Modibo Keita du RDA-Union Soudanaise devait être le président, Senghor le président de l’Assemblée fédérale monocamérale, et Mamadou Dia, Premier ministre. Le gouvernement devait siéger à Dakar.

Mais les choses se gâtèrent très vite pendant les luttes pour l’indépendance. En pleine guerre froide, et avec la volonté de Paris de garder encore la main sur des ex-colonies dirigées toutes par des hommes issus de la formation française de l’élite africaine, Modibo Keita, qui voulait s’engager clairement dans une vision socialiste et marxiste de l’Etat, se heurte à Senghor, de tendance plutôt social-démocratie. A l’approche de l’élection présidentielle, le 19 août, le président du Conseil fédéral Modibo Keita décharge le Mamadou Dia de ces fonctions de ministre de la Défense, qu’il s’adjuge lui-même, et donne des instructions au chef d’état-major des armées pour la sécurisation des élections. La goutte qui déborda le vase d’un Senghor apeuré et criant au coup d’Etat. La fédération se disloqua le 22 septembre 1960, soit un an plus tard après sa gestation.

Il y eut aussi d’autres tentatives d’union au Nord de l’Afrique, la plupart sous l’emprise de Kadhafi. En vain. La dernière lubie du guide libyen fut sa volonté de créer les Etats-Unis d’Afrique, dont les linéaments furent posés en 1999 au sommet de l’OUA à Lomé. Le projet fit également long feu comme ses ancêtres.

Une Fédération Guinée-Mali-Burkina

L’idée de la fédération entre la Guinée, le Mali, le Burkina, tous dirigés par des juntes militaires, peut-elle aboutir ? A priori, elle n’est pas très mauvaise. Un atout : il s’agit quasiment des mêmes peuples entre les trois pays :  Peuls et Mandingues se retrouvent majoritairement entre les trois pays, et s’ajoutent  aux Mossis, non-minoritaires au Burkina-Faso.

Certes, beaucoup plus peuplés que la Guinée (13 millions), le Mali (22 millions)  et le Burkina-Faso (21 millions) se retrouvent tout de même écrasés économiquement par un Conakry au sous-sol de scandale géologique et un climat et des terres propices à l’agriculture. Difficile de concevoir une fédération dans laquelle la Guinée, seul pays à disposer d’un  accès  à la mer,  ne voudrait pas jouer un rôle central, d’autant plus que les deux autres membres présomptifs, en guerre politique larvée contre les pays côtiers,  dépendront du Port de Conakry, si l’on en croit les lubies d’un homme politique aussi agité et irréfléchi que le Premier ministre burkinabé.

Tertio, les trois pays n’ont pas les mêmes intérêts en politique étrangère. Il y a certes l’hostilité commune à la CEDEAO, mais la junte de Sékoutouréya est bien plus modérée face à la communauté régionale et elle a d’excellentes relations avec la France. En sus, la Guinée a une longue tradition avec la Russie et n’irait pas s’empêtrer dans une coopération moins fructueuse avec Moscou. Et sur le plan sous-régional, tout va pour le mieux avec le Libéria et la Sierra-Leone voire avec la Côte d’Ivoire avec laquelle elle a une longue frontière.

Sur le gros, la Guinée a beaucoup plus intérêt à composer avec la CEDEAO, au regard de sa force économique  et ses prétentions de développement que de tenter l’aventure politique sans lendemain où s’embourbent les juntes du Mali et du Burkina.

En réalité, s’inspirant des pères fondateurs du panafricanisme et de l’Union Européenne, certains Africains pensent qu’il faut absolument des ensembles politiques pour réussir le développement. Ce n’est peut-être pas faux dans l’absolu. Mais si le panafricanisme se pensait d’abord sur l’idée de la race (noire), l’Union Européenne se réalise sur la base de la raison et de l’économie, rassemble des peuples qui se font la guerre pendant plus de 1000 ans et sont las d’en faire, d’où d’ailleurs leur impréparation face à l’impérialisme belliciste de Poutine.

En dernière analyse, si le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point, l’union politique se réalise elle moins avec le cœur qu’avec la raison. L’expérience amère de la Russie avec ses voisins slaves poussés vers l’Ouest, le montre à suffisance. Des envolées lyriques sur le tiers-mondisme et le gauchisme n’amassent mousse.

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