Malgré leur handicap, des non-voyants bravent des difficultés pour se faire former. A l’Université de Lomé (UL), une trentaine s’inscrit chaque année dans différentes écoles et facultés. Au-delà des difficultés matérielles, techniques et financières, la vie sur le campus est à la limite un calvaire pour ces jeunes en quête de connaissance et de diplômes. Incursion dans leur univers.
En uniformes et munis de cannes, trois étudiants non-voyants attendent devant l’Ecole nationale de formation sociale de l’UL. Ils viennent de finir les cours, et ont besoin d’aide pour regagner la cité A, leur résidence. Malheureusement, personne ne vient à leur secours. « On a besoin de se faire accompagner, parce que l’infrastructure du campus n’est pas construite en tenant compte des personnes en situation de handicap visuel », explique Roland Sossou, titulaire depuis d’un master, option journalisme, depuis décembre 2022.
« Un objet de curiosité »
Beaucoup d’enseignants ne savent pas comment encadrer les non-voyants. Ce qui fait que « les prises de notes ne sont pas évidentes ». « Parfois, ça va très vite et nous n’arrivons pas à suivre les cours », relate Katagnon Charles, étudiant en droit privé. En plus, il est méprisé au quotidien par les étudiants, dit-t-il.
Les étudiants ont du mal à s’approcher de nous. Même ce matin, j’ai croisé une nouvelle étudiante qui avait honte de m’accompagner. Elle me disait que “les gens nous regardent”. Ce qui veut dire que j’étais devenu un objet de curiosité. Ce sont des situations que nous vivons au quotidien et qui nous compliquent la vie au campus.
Roland Sossou n’en dira pas moins : « Je me trouvais dans une situation où il y avait des gens qui passaient. Pour eux, j’étais comme un objet d’art ou une statuette ».
Outils de travail coûteux et rares
Pour prendre des notes, les non-voyants se servent du braille, un système d’écriture tactile à points saillants. Ils utilisent la tablette, le poinçon et des papiers brailles, des enregistreurs. « Notre écriture (le braille) prend assez de place. Nous avons besoin de beaucoup de papiers, mais c’est difficile à trouver », affirme Hervé Sinsagle, ancien délégué des étudiants non-voyants.
Des ONG fournissent les papiers aux plus chanceux et les aident à transcrire les cours. Mais les critères de sélections des bénéficiaires sont parfois restrictifs. Etudiante en communication, Eyram bénéficie du soutien d’une organisation qui n’aide que les étudiants en provenance des Instituts des non-voyants de Togoville et de Sokodé. « Pour les cours qui dépassent 200 pages, on ne nous les traduit pas en braille. On l’enregistre en audio ou on te laisse avec ton cours. Mais sans l’appui de cette structure, on peut démissionner parce que les outils sont prohibitifs », souligne-t-elle.
L’institution n’aide que les étudiants sur une durée de trois ans. Depuis que Roland Sossou a décidé de s’inscrire en master, il ne bénéficie plus d’aide. « J’achète mes papiers moi-même. J’utilise la tablette et le poinçon que j’ai reçus depuis que j’étais à Togoville », fait-t-il savoir.
Des évaluations souvent théoriques
Les non-voyants ont du mal à suivre les cours pratiques. L’université ne dispose pas du matériel nécessaire pour leur favoriser une prise en charge adéquate. Si Hervé a du mal à mieux comprendre les schémas descriptifs, Roland n’arrive pas à suivre convenablement les cours d’informatique alors qu’il existe des dispositifs leur permettant d’utiliser les outils numériques. Quant au cours de caméra et prise de vue, son enseignant, Napo Koura a trouvé une formule pour l’évaluer.
« Etudiant en journalisme, il a besoin des photos pour étayer ses écrits ou tout ce qu’il aura à produire. Les non-voyants ont leur façon d’analyser les images. Je lui fais donc une évaluation théorique. Pour l’examen, vous êtes obligés de lui lire les questions l’une après l‘autre. Quand il finit de répondre, on ramasse sa copie qu’on envoie à des personnes appropriées pour traduction ».
Redynamisation de la Cefiesh
Conscientes des enjeux, les autorités universitaires ont mis en place la Cellule de formation inclusive des étudiants en situation de handicap (Cefiesh – UL). Avec l’arrivée du professeur Dodzi Kokoroko à la tête du temple du savoir, la cellule située au campus nord s’occupe désormais de tous les étudiants atteints d’un handicap. Mais elle a besoin de moyens et doit se réinventer pour être plus efficace.
Dirigée par Komivi Boko, docteur en Sociologie, la Cefiesh – UL est chargée de rendre accessible les supports de cours aux étudiants non-voyants. « Les rendre accessibles, c’est les traduire en braille pour que le non-voyant puisse le lire. Si ce n’est pas possible, on fait en sorte que le cours lui soit accessible en version numérique ou sous forme audio », explique Dr Boko. La cellule transcrit également en braille les sujets des devoirs et les examens. Elle sert d’intermédiaire entre les non-voyants et les enseignants.
Malheureusement, l’insuffisance de moyens fait que la structure « ne transcrit pas les cours aux étudiants sous prétexte que le matériel est strictement dédié aux examens et devoirs », révèle Eyram. Pour Hervé, il est impératif de mettre tout en œuvre pour le développement de la Cefiesh parce qu’en réalité, « c’est le personnel qui manque », souligne-t-il avant d’ajouter :
« Il faut recruter les gens et mettre à la disposition de la cellule le matériel adéquat. Si le service fonctionne bien, on va demander à chaque professeur d’y passer pour laisser son cours. La cellule va se charger de mettre ça en braille pour nous. On aura nos cours au même moment que les autres. Lorsque l’enseignant sera en train de lire le cours et l’expliquer, nous aussi nous allons le suivre aisément ».
Le handicap n’est pas une fatalité
Si Roland, désormais diplômé en master avec une mention bien, produit des articles pour des médias, Marie-Reine Amélé Adade est docteur en sociologie du développement. Ingénieure en gestion de projets et experte en handicap, elle est la promotrice du Cabinet Africain de formations, d’études et de conseils sur le handicap (Cafech). Elle a relevé le défi qu’elle s’est fixé : « braver toutes les difficultés, faire la thèse ».
Marie-Reine connait bien l’université pour y avoir étudié. Son souhait, c’est que les pouvoirs publics et les organisations humanitaires puissent doter l’université de Lomé « d’imprimante braille ». Elles doivent aussi « sensibiliser les enseignants pour qu’ils puissent mettre à disposition des non-voyants, les formats numériques des cours ». Une sensibilisation périodique du monde universitaire lui permettra de comprendre que « le handicap n’est pas une fatalité ». A cela, peut-on ajouter la création d’une commission pour aider les non-voyants à se déplacer et à se restaurer sur le campus.
Aujourd’hui entrepreneure, Marie-Reine est la preuve qu’investir dans l’éducation des personnes en situation de handicap n’est pas une peine perdue. Mais une contribution au profit d’un monde équitable et meilleur ; un impératif pour le développement de l’éducation inclusive. Les personnes handicapées se trouvent partout au Togo. Le gouvernement et les organisations humanitaires doivent s’impliquer davantage dans la lutte pour leur bien-être. Leur insertion professionnelle, un autre fléau à combattre.
Elisée Rassan