Politique

Fonds Covid-19 : La société civile ne doit pas baisser les bras

Après le rejet de la plainte de la société civile par le Procureur de la République pour “défaut de qualité à agir”, deux manifestations des organisations de la société civile ont été également interdites. L‘Echiquier revient sur les raisons de ne pas abandonner la lutte pour la manifestation de la vérité sur la gestion du fonds covid-19.

La manifestation des organisations de la société civile devant  se tenir ce samedi 1er avril pour exiger la vérité sur le rapport de la Cour des comptes quant à la gestion des fonds de la covid-19, a été interdite par les autorités, pour vice de forme.

Trois des principaux instigateurs  de la manifestation n’ont pas signé la demande d’autorisation, à en croire le ministère de la Décentralisation. Qu’à cela ne tienne, les organisateurs attendent refaire une nouvelle demande pour le 15 avril. Espérons que cette date soit effective et  les moyens mis à disposition pour faire triompher cette cause. Car, tout doit être mis en œuvre pour éclairer l’opinion sur la gestion des fonds de la covid-19.

 Pour rappel, sur 178 milliards CFA d’emprunts, dons et aides destinés à la riposte à la covid-19, près de 40 milliards CFA, soit près du quart,  ont été dépensés sans respect des règles et procédures en matière de gestion, des textes et lois en vigueur.

Trivialement, la Cour des comptes relève des marchés gré à gré, des commandes sans bons d’achats, des dépenses sans lien direct avec la covid-19, etc… Le rapport ne porte que sur le tiers du fonds covid-19 estimé à 400 milliards.

Pourquoi agir ?

Pourquoi la société civile togolaise ne doit pas baisser les bras et doit œuvrer à la manifestation de  la vérité sur le fonds covid-19 ?

Parce que le rapport de la Cour des comptes révèle au grand jour la situation d’un Etat gangrené par la corruption, éclairant quelque peu  les rumeurs, les soupçons, ou des informations révélées dans la presse sur détournements de dizaines de milliards CFA – des chiffres tellement énormes qu’on les croyait non-fondés.   

Car la corruption est lancinante depuis les années Eyadema et le public n’a jamais eu l’occasion d’en débattre.

Car la corruption et la gabegie ont conduit le pays qui prospérait aux fourches caudines des PAS (Programmes d’ajustement structurel) du FMI et de la Banque mondiale.

Sinon comment comprendre qu’un pays qui connut une croissance de 7% de 1960 à 1970 et de 10% de 1974 à 1980, bénéficiant du boom des matières premières, avec un budget qui est passé de 16 milliards CFA en 1974 à 80 milliards à 1975, a pu finir au rang des pays les plus pauvres de la planète au milieu des années 1980 ? 

Evoquant cette période, l’économiste et homme d’affaires togolais, Nadim Kalife, écrit dans Pourquoi le Togo va si mal, que «l’absence de contrôle budgétaire incitait les promoteurs de tels projets [Grands travaux, NDLR] à la surfacturation abusive des dépenses de prestige, ce qui condamnait le pays à rembourser (avec les intérêts) jusqu’à 10 fois la valeur réelle du projet s’il avait été correctement réalisé».

Conséquence : «la population a dû endurer  le délitement des services publics,  le gel des dépenses sociales, la détérioration des salles de classes, et la baisse du niveau de l’enseignement, la fermeture des centres médicaux dans les quartiers populaires des villes, dans les villages et cantons, alors qu’elle  augmentait de 2,5% chaque année….alors que tous ses sacrifices populaires n’ont servi qu’à rembourser de mauvais investissements », écrit encore l’économiste. 

D’une   infime «minorité la richesse du pays» de Faure Gnassingbe  au rapport de la Cour, la société civile tient le modus vivendi pour qu’enfin naisse un débat public sur la corruption qui nécrose Togo.

On est loin d’imaginer le nombre d’hôpitaux et d’écoles à construire, de médecins et d’enseignants à recruter auxquels pouvaient servir les 40 milliards.

L’Ukraine une nation vérolée qui a failli disparaître

Quel est l’impact de la corruption sur la société ? L’ancien ministre ukrainien de l’Economie, Tymofiy Mylovanov, aujourd’hui conseiller de Zelensky et important acteur de la société civile, évoque dans un thread sur Twitter comment la corruption a failli faire disparaître l’Ukraine en tant que nation.

«La corruption est un problème de culture. La culture du mépris des règles, du manque de respect pour les autres, de l’absence d’empathie, de l’égoïsme et de la conviction que toutes les autres personnes sont également corrompues, mais qu’elles n’en ont simplement pas eu l’occasion. Les personnes corrompues croient qu’elles peuvent corrompre tout le monde parce que tout le monde est pareil à elles. Lorsqu’ils rencontrent des personnes honnêtes, ils les considèrent comme des fous ou des perdants. Lorsqu’ils sont arrêtés et poursuivis, ils sont surpris et attribuent cela à des conspirations ou à des ennemis politiques », écrit-il.

Et le pays a failli tomber dans l’abîme lors de la présidence du président pro-russe Yanukovitch, dont « la culture était celle d’un voyou, la règle du plus fort plutôt que celle de la loi ou de la justice ».

Victor Ianoukovitch  est aujourd’hui réfugié en Russie. C’est sous son régime que la Russie a annexé la Crimée et mis en place un mouvement “séparatiste” dans l’est de l’Ukraine. Selon Timofy, « les Ukrainiens ont alors appris à quel point les institutions ukrainiennes étaient devenues incapables sous Ianoukovitch, l’armée étant incapable de résister à l’annexion russe et les services de sécurité et de police étant inaptes à résister aux Russes dans l’Est ». En plus, la police ukrainienne était extrêmement brutale.

Il a fallu que les citoyens ukrainiens, des volontaires,  se levassent pour combattre sur le terrain, enrayer l’avancée des forces séparatistes équipées et appuyées par Poutine entre 2014-2016. Ce sont ceux-là qui constituent aujourd’hui l’épine dorsale de l’armée ukrainienne.

Depuis l’Ukraine s’est lancée dans une lutte contre la corruption, et elle réalise beaucoup d’avancées, en dépit de quelques écueils.

Réforme de la banque centrale,  fermeture de plus de 50 banques sur les 100 qui existaient,  réforme des marchés publics, introduction d’un système électronique, création  d’un tribunal spécial, d’un bureau d’enquête, un procureur spécial, et d’une agence de lutte contre la corruption. Au niveau de la société civile, renforcement du journalisme d’investigation et mise en place d’une culture de la dénonciation. Certes, tout n’est pas rose, mais ils sont sur le bon chemin. Cela leur a permis de conserver leur pays et de lutter contre la 2ème armée du monde.

Grosso modo, Tymofiy Mylovanov  dit que la constitution détruit un pays, ôte le sentiment national, galvaude le patriotisme. C’est ce qui va arriver au Togo. N’est-ce pas livrer son pays à la dévoration de l’étranger que de siphonner les aides et les emprunts ? N’est-ce pas vendre son pays  que de le faire endetter par la conduite de projets inadaptés, ineptes, d’investissements publics démesurés ? N’est-ce pas hypothéquer l’avenir de tout un pays en détruisant les structures sanitaires et en délitant l’enseignement ?

Le bilan de Faure Gnassingbe

17 ans de Faure Gnassingbe au pouvoir ont vu passer sous nos yeux des centaines de milliards alors que le pays n’a réalisé aucune avancée notable en matière d’infrastuctures sociales. Ni hôpitaux, ni écoles dignes de ce nom. L’agriculture est en régression selon un rapport des experts de la Banque mondiale, et voit le Togo distancé par tous ses voisins ; le pays est obligé de lever des emprunts obligataires chaque trimestre pour faire face à ses besoins. Les agences de lutte contre la corruption semblent impuissantes.

Par exemple, un rapport de la Haplucia dans lequel la gendarmerie est citée comme l’une des institutions les plus corrompues, a été retoqué. L’existence des institutions de contrôle semble être de pure forme; ce que confirme le sort qui est fait au rapport de la Cour des comptes sur la gestion du Fonds covid-19.

«La prospérité des nations est d’abord et avant tout une question d’institutions politiques, pas de ressources», disent Acemoglu & Robinson dans Why nations fail.  Au Togo, les institutions sont trop faibles pour lutter contre la corruption. Le mépris avec lequel le gouvernement a traité la publication du rapport témoigne même de la faiblesse d’une institution comme la Cour des comptes .
Exiger la vérité sur le rapport de la Cour des comptes, c’est faire le bilan des 17 années de gestion de Faure Gnassingbe. 

La société civile doit agir.

@L’Echiquier

Articles similaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Bouton retour en haut de la page