Société

Liberté de presse : Le Togo passe miraculeusement du 100ème au 70ème rang mondial

Malgré un environnement de production des plus difficiles, la répression des libertés d’exercice et d’expression, l’exil forcé de deux journalistes, le Togo fait un bond de 30 points dans l’édition 2023 du classement RSF publié à l’occasion de la journée mondiale de la liberté de presse ce 03 mai.

Le rapport de  Reporters Sans Frontières (RSF) évalue les conditions d’exercice du journalisme dans 180 pays et territoires. Il apparaît que la situation est “très grave” dans 31 pays, “difficile” dans 42 et “problématique” dans 55, alors qu’elle est “bonne” ou “plutôt bonne” dans 52 pays.

Les conditions d’exercice du journalisme sont mauvaises dans 7 pays sur 10 et satisfaisantes dans seulement 3 pays sur 10“, indique l’édition 2023 de RSF.

Les pays les plus liberticides et dangereux pour la presse sont situés dans l’Est de l’Europe, surtout la Russie et la Biélorussie en plein contexte de guerre d’invasion de l’Ukraine; en Asie avec la Chine, la Birmanie, le Moyen-Orient, certains pays d’Amérique latine où abondent des mafias de la drogue, puis l’Afrique.

Pour rappel, les conditions d’exercice du journalisme en Afrique sont très menacés dans des pays, par exemple comme le Mali ou le Burkina, où, sous prétexte du contexte sécuritaire et de lutte contre le djihadisme, des gouvernements militaires musèlent la presse privée nationale, obligent les journalistes à adopter la propagande officielle, interdisent les médias étrangers voire chassent leurs correspondants étrangers.

Dans ce classement, le Togo est miraculeusement  70ème  alors qu’il occupait le 100ème  rang en 2022, derrière le Ghana,  62ème et la Côte d’Ivoire 54ème, mais très loin devant le Bénin, 112ème et le Nigéria, 123ème.

Dans un tweet, le ministre de la Communication et des médias se satisfait de cette «performance», attribuée à l’engagement du chef de l’Etat Faure Gnassingbe «à faire du Togo un cadre propice au rayonnement de la presse nationale, professionnelle et libre, au service du développement».

Le bond  de 30 points du Togo peut paraître curieux au regard de certaines réalités. Deux journalistes, Ferdinand Ayité et Isidore Kouwounou, respectivement directeur de publication et rédacteur en chef du bi-hebdomadaire L’Alternative, ont été forcés à l’exil sous la pression judiciaire, causant la fermeture du journal.

L’épée de Damoclès est suspendue également au-dessus du quotidien Liberté, à l’instigation de la Première ministre  Victoire Dogbe-Tomegah, dans une affaire de diffamation, d’atteinte à l’honneur, et de diffusion de fausses nouvelles. Le seul quotidien privé risque une suspension de trois mois, une triple amende de quinze millions infligée au journal, au directeur de publication et à un journaliste. Ces derniers risquent la prison par la «contrainte par corps»  en cas de non-paiement des amendes.

Un autre journal Tampa Express s’est vu infliger une suspension de plusieurs mois pour un article pour avoir ironisé sur l’affectation à un poste de représentation d’un ex-haut cadre local de Bolloré.

Depuis le début de l’année, la HAAC met en application le nouveau code de la presse étrange qui oblige les organes existant et opérant depuis Mathusalem à refaire une demande d’autorisation, au mépris de tout principe des droits acquis. Les journalistes sont désormais soumis à une obligation de détention de la carte de presse et à une formation de journalisme. Ce faisant la HAAC met plutôt en avant le diplôme de journalisme au lieu de la  compétence alors que le journaliste doit être nanti d’une formation technique structurelle avant d’être  outillé sur un plan pratico-pratique aux rudiments du journalisme.

L’autorité de régulation des médias a de même enjoint aux médias de ne pas couvrir la situation sécuritaire qui prévaut au nord du pays et, sans le dire expressément, de se contenter des communiqués officiels sur la question.

Journalistes misérables et misère du journalisme

 La journée mondiale de la liberté de la presse se décline cette année sous le thème «Façonner un avenir de droits : la liberté d’expression comme moteur de tous les autres droits de l’homme».

« Cette journée met en lumière une vérité fondamentale : notre liberté dépend entièrement de celle de la presse », indique le Secrétaire général de l’Onu dans sa déclaration ad hoc à cette journée, pour souligner que « la liberté de la presse est le fondement même de la démocratie et de la justice ».

Au Togo, la corporation de la presse privée pense que les conditions d’existence et de production déterminent la liberté de la presse. A cette occasion, le Syndicat national des journalistes indépendants du Togo (Synjit) dénonce les conditions de travail et d’existence du milieu journalistique.

«La meilleure façon de façonner un avenir de droit au sein de la presse togolaise surtout privée, c’est de permettre aux journalistes de vivre à leur faim et d’être en mesure de subvenir à leurs besoins vitaux et ceux de leur famille», déclare le Synjit.

La presse togolaise souffre d’un manque criard de moyens financiers, techniques et de ressources humaines. Les conditions de travail, épouvantables, handicapent les journalistes d’exercer pleinement leur mission d’information des populations en toute objectivité et liberté.

Les conditions d’existence exposent non seulement les journalistes  à des risques potentiels de corruption par les détenteurs d’argent, mais génèrent aussi la misère d’un journalisme incapable de faire œuvre de pédagogie et d’analyse autour des enjeux sociaux, économiques et politiques, souvent loin des préoccupations quotidiennes. D’où la pratique d’un journalisme de compte-rendu de conférence de presse et de séminaire et atelier.

Non-salariés, payés au lance-pierre, maltraités, sans protection sociale, taillables et  corvéables  à merci, les journalistes togolais n’offrent aucune garantie pour une information libre ; ils constituent pour une bonne part d’entre eux un danger pour les combats démocratiques et sociaux.

Avant d’être les victimes potentielles d’un régime politique frileux sur la liberté d’expression, les journalistes sont surtout victimes des patrons de presse. Détenteurs de sociétés unipersonnelles sans avenir, profitant du cadre informel, ces derniers sont, pour  certains parmi eux, des Eugène de Rastignac  évoluant dans un environnement médiatique dont ils ignorent les valeurs et le sens, exposant le milieu à la corruption.

Ce 3 mai 2023, si,  à l’international, les organisations de la corporation s’inquiètent des conditions de restriction, des fourches caudines des répressions gouvernementales, des assassinats et autres menaces sur la liberté d’exercice du journalisme, les journalistes togolais s’inquiètent plus de la précarité et la médiocratisation du milieu.

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