L’Assemblée nationale aphone
Jamais, un document officiel n’a suscité autant d’engouement, mais surtout de commentaires au Togo. Sans doute, le rapport publié le 1er février 2023 par la Cour des comptes sur son site internet et portant sur la gestion des Fonds de riposte et de solidarité face à la Covid-19 (FRSC) a battu le record des téléchargements de documents officiels. Et pour cause, le rapport d’audit met à nu la mauvaise gestion des fonds alloués aux différents départements ministériels dans le cadre de la lutte contre la pandémie de la Covid-19 au Togo.
De la conception d’un logo à 15.500.000 FCFA, à l’achat d’un laboratoire mobile à plus de 4,5 milliards FCFA en passant par l’aménagement des locaux du commandement de la force anti Covid à 57 millions FCFA, les populations en ont eu plein les yeux. Le rapport reste le sujet le plus abordé dans les médias où les intervenants, en dehors de ceux qui mouillent le maillot pour le gouvernement, demandent au président de la République de prendre des dispositions afin que la justice se prononce. « Des têtes vont tomber », assuraient certains qui citent des sources proches de la présidence.
Mais surprise, alors que l’opinion s’attendait à ce que pour une fois dans l’histoire du pays, les personnes incriminées soient relevées de leurs fonctions et les dossiers transmis à la justice, le gouvernement publie un communiqué qui tente de blanchir les auteurs des malversations. « Cette gestion a été saluée par l’ensemble des acteurs qui en reconnaissent l’efficacité », a conclu le gouvernement, balayant ainsi du revers de la main les critiques qui fusaient de l’opinion.
En fait, le gouvernement n’a fait qu’exploiter à son bénéfice la duplicité de la Cour des comptes qui, dans ses conclusions, à disculper ceux que le rapport accablait. Elle a déclaré les opérations du Compte Unique du Trésor… régulières et conformes aux textes des différents accords de prêts et de dons, l’utilisation de ces ressources conforme, les mesures économiques et sociales prises en vue de soulager la population… appliquées dans la transparence et la conformité aux textes, et les commandes publiques… effectuées conformément aux procédures de passation de marchés… et aux textes spécifiques pris en la matière pendant la période de Covid-19. Et pour couronner le tout, l’institution ravale se dédie, Jean Koffi Edoh (président de la Cour des comptes) et Tchalouw B. Pilouzoue (Rapporteur et chef d’équipe de l’audit) certifient que « les dépenses relatives aux mesures barrières, de riposte ou sanitaires sont conformes, régulières et sincères ». On n’appelle ça auto-émasculation.
Et ce ne sont pas les députés de l’Assemblée nationale – le parlement godillot– qui nous démentiraient. Dans une sortie médiatique, le député Gerry Taama du Nouvel engagement togolais (NET) se prononce sur le rapport. Et comme on peut s’y attendre, le député ne s’attend à rien d’extraordinaire venant de l’Assemblée nationale. « Je vais interpeller… mais la procédure parlementaire, c’est que tu interpelles et on te répond comme on veut. Moi, je vais faire des interpellations pour la forme, en espérant que d’ici là, les choses changent parce qu’on ne peut pas laisser passer cela… Fin 2020, j’ai interpellé la ministre de l’Economie numérique sur la gestion du fonds Novissi… on m’a envoyé balader », a indiqué le député sur Nana Fm. Interpellation même est étonnée. Pourquoi ne démissionne-t-il pas ?
En réalité, la Constitution togolaise rend responsable le gouvernement devant l’assemblée nationale et donne les pleins pouvoir aux députés d’interpeller des membres de l’exécutif. Ces dispositions sont contenues dans les articles 77, 81, 96 et 98. Le dernier article parle de motion de censure. « L’Assemblée nationale peut mettre en cause la responsabilité du Gouvernement par le vote d’une motion de censure. Une telle motion, pour être recevable, doit être signée par un tiers au moins des députés composant l’Assemblée nationale… ».
En dehors de l’interpellation, c’est l’autre voie prévue pour mettre le gouvernement devant sa responsabilité. Mais nous avons souvenance de ces apparitions de ministres en véritables héros à l’Assemblée nationale malgré les casseroles qui retentissaient à leurs passages. Ils viennent, narguent les députés et repartent plus rassurés que jamais de l’impunité dont ils bénéficient. Oui, nous sommes au Togo. Le gouvernement et l’Assemblée nationale actuelle sont des siamois. Si l’un meurt, l’autre le suit indubitablement.
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Mme Yawa Tsegan, présidente de l’Assemblée nationale, deuxième personnage de l’Etat, dans un grand moment de solitude à Atakpame au cours du Forum des producteurs agricoles du Togo auquel participait le chef de l’Etat Faure Gnassingbe.