Société

Sécurité privée: « Dans certaines sociétés, même l’ancien SMIG n’est pas payé »

Dans son discours de fin d’année, le chef de l’Etat Faure Gnassingbe annonçait un accord avec les partenaires sociaux portant sur la revalorisation du SMIG, salaire minimum interprofessionnel garanti, qui passe ainsi de 35.000 FCFA à 52.500 FCFA. Mais dans le secteur de la sécurité et du gardiennage, la mesure peine à être appliquée. L’Echiquier a rencontré M. Tépé Aményénou, Secrétaire Général et Porte-parole du Syndicat national des agents de sécurité et du gardiennage privé du Togo, qui nous a accordé une interview pour décrire le malaise dans le secteur.

L’échiquier : En décembre 2022, dans son message de vœux de la nouvelle année, le président de la république a annoncé la revalorisation du Salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) à compter de janvier 2023. Comment avez-vous reçu cette bonne nouvelle dans le monde syndical ?

Tépé Aményénou : Je vous remercie de l’intérêt que vous portez à notre secteur, celui de la sécurité privée.

Après avoir écouté le message du président de la République, nous étions tous contents parce que nous attendons quelque chose de pareille depuis de nombreuses années. Surtout que pour le secteur de la sécurité et du gardiennage, nous avons le sentiment d’assister à un abandon. C’est un secteur démuni. Quand nous approchons les employeurs, ils nous disent que c’est l’Etat qui n’a pas organisé les choses dans le secteur. Par conséquent, la revalorisation du SMIG a été ressentie comme une bonne nouvelle jusque dans nos foyers. Nous avons donc félicité le gouvernement pour cette décision.

Nous sommes début mars, est-ce que la mesure a été appliquée les deux premiers mois de l’année 2023 ?

Malheureusement, la mesure relative à la revalorisation du SMIG n’est pas effective dans le secteur de la sécurité et du gardiennage. Elle n’a pas été appliquée. Quand nous sommes entrés en discussions avec les employeurs, ils disent qu’ils ont pris acte de la décision du gouvernement. En plus, nous avons constaté sur nos bulletins de paie que le nouveau SMIG n’est pas encore appliqué. Nous sommes vraiment très déçus par rapport à cette situation parce que des employeurs dans un pays ne peuvent pas refuser d’appliquer une mesure décrétée par le gouvernement de ce pays.

Quels sont les obstacles évoqués par les employeurs pour justifier ce refus d’appliquer le nouveau SMIG ?

Quand nous nous sommes rencontrés pour les discussions, les employeurs nous ont fait savoir que pour appliquer la mesure de la revalorisation du SMIG, il leur faut une convention collective avec une nouvelle grille salariale. Mais nous disons que le SMIG a été revalorisé à 50% et qu’ils peuvent suivre les 50% pour augmenter les salaires. Il est aussi possible d’appliquer la différence entre l’ancien SMIG et le nouveau pour avoir les nouveaux salaires. C’est simple à faire. Mais ils disent attendre le retour du gouvernement qu’ils auraient saisi par courriers afin d’être situés sur le calcul à faire.

Cela ne risque-t-il pas de prendre des années ?

Absolument. On peut craindre que cela ne dure une éternité parce que l’élaboration et l’adoption d’une convention collective interprofessionnelle dans un pays n’est pas une mince affaire. Il faut des années, multiplier les négociations et les rencontres avec les centrales syndicales, le patronat et le gouvernement avant d’y parvenir. Cela peut s’étendre sur plusieurs années. Le travailleur ne peut pas attendre indéfiniment parce que dès l’annonce de cette revalorisation, des projections ont été faites dans les foyers. Nous ne sommes pas contents de l’attitude des employeurs.

Des actions de prévues au cas où la situation ne s’améliorerait pas ?

De toutes les façons, nous n’allons pas nous taire face à cette situation. Après les discussions avec les employeurs, nous avons saisi l’inspection du travail aux fins d’une médiation. Il y a vraiment du bourdonnement dans le secteur. Pour le moment, nous ne sommes pas encore à l’étape de mouvements d’humeur. Nous attendons le retour de l’inspection du travail et voir ce que sa médiation va donner. Si rien n’est fait après, nous irons plus loin dans nos actions. Nous n’excluons rien !

Le gouvernement a-t-il mal agi ou ce sont les employeurs qui ne veulent pas se conformer à la nouvelle donne ?

Le gouvernement n’a pas mal agi. Le gouvernement a fait de son mieux et il revient aux employeurs de respecter cela et sortir du statu quo. Ils ont été avisés. Cette revalorisation a été annoncée depuis fort longtemps par le ministre en charge du travail.

Si aujourd’hui les employeurs disent qu’une nouvelle convention doit être adoptée avec une nouvelle grille, nous estimons qu’ils ont tort. Ils peuvent d’abord commencer par le b.a.-ba. Je rappelle que dans le cas présent, il y a deux types de calcul à faire. Le premier c’est la différence entre l’ancien SMIG et le nouveau SMIG qui doit s’ajouter au salaire de base catégoriel de tout employé. Le second, c’est d’appliquer le pourcentage de la revalorisation au salaire existant. On n’a pas besoin d’un document pour l’appliquer. La vie chère aujourd’hui touche tout le monde. Je pense que c’est dans cette optique que le gouvernement a écouté les cris des travailleurs du Togo en décidant la revalorisation du SMIG.

Il est vrai que la sécurité et le gardiennage constituent un métier à risque. Est-ce que les salaires sont comparables aux risques que prennent les agents ?

Jamais. Je vous dis d’ailleurs que dans certaines sociétés de sécurité et de gardiennage, même l’ancien SMIG n’est pas payé. L’agent est positionné à un poste pendant 12 heures de temps. Il reste dans les Rangers durant tout ce temps. Il travaille aussi de nuit sans armes, avec tous les risques de se faire attaquer voire tuer. Pourtant, nous n’avons pas de prime de risque. Il n’y a pas non plus d’assurance. C’est par la grâce de Dieu que nous allons et venons. Si un agent de sécurité meurt aujourd’hui, c’est fini pour lui. Le salaire même est insuffisant. Or, l’agent de sécurité achète lui aussi le maïs. Il paie aussi le carburant qui est à 700 FCFA le litre. Aujourd’hui, l’agglomération ne se limite plus à Lomé. Nous sommes tous très loin de nos lieux de travail et on doit tenir compte de tous ces aspects.

Malgré les conditions de travail, on a l’impression que le secteur de la sécurité attire de plus en plus de jeunes.

Aujourd’hui, il n’y a pas de travail au Togo. Si je parle ainsi, c’est qu’il y a des diplômés qui sont obligés de faire du Taxi-moto. Contrairement à plusieurs décennies où ce sont les vieux ou les retraités qui exercent comme agents de sécurité, les jeunes sont rentrés dans le secteur parce qu’ils veulent y faire carrière. C’est un bon métier, mais pour faire carrière, il faut être employé dans de bonnes conditions et espérer toucher sa pension de retraite à la fin de sa carrière. Il y a quelques décennies, être agent de sécurité c’était faire un job, un travail précaire. Ce n’est plus le cas parce que c’est devenu une véritable profession. Les gens y sont depuis 20 ans et ne peuvent plus faire autre chose. Moi-même je suis dans ma 15ème année. J’insiste pour dire que pour faire carrière, les salaires ne peuvent pas être statiques. Aujourd’hui, on parle d’avancement. Mais dans notre secteur, quand on te paie 50.000 FCFA, c’est parti pour toute la vie. Tu n’as plus aucun avancement. Ce n’est pas normal. Quand vous voyez les contrats que les sociétés signent avec les clients, vous verrez qu’ils ne versent à l’agent que 25% ou un peu plus. Mais les jeunes sont obligés de travailler. C’est pourquoi nous lutter pour que les conditions soient améliorées.

Quelles améliorations espère le SYNASGPT pour le secteur ?

Je voudrais faire remarquer que nous sommes régis par la Convention collective interprofessionnelle qui concerne tous les travailleurs togolais sauf les fonctionnaires. Dans cette convention, on nous a trouvé une place quelque part. Par contre, la zone franche a sa convention collective. La meilleure chose à faire aujourd’hui est de doter le secteur de la sécurité de sa convention collective sectorielle. Cela permettra une meilleure réglementation. Apporter une amélioration à la convention collective interprofessionnelle ne va pas régler tous les problèmes de notre secteur. Il faut aller au-delà et doter notre secteur de sa convention collective.

Aussi, je voudrais passer par votre canal pour interpeller le gouvernement. Les autorités doivent se plancher sérieusement sur notre secteur. En dehors des forces de l’ordre et de sécurité, nous sommes le secteur qui assure la sécurité des personnes et des biens. On doit en tenir compte. Nous appelons aussi les employeurs à faire preuve d’humanisme en se rappelant que ce sont des hommes, des pères et mères de familles, qu’ils emploient. Ils doivent accorder de la valeur à la main-d’œuvre. Il faut appliquer le nouveau SMIG pour soulager les familles dans ce contexte de vie chère.

Enfin, j’encourage mes frères et sœurs à faire preuve de professionnalisme. Il faut tenir bon. Ce n’est pas le moment de baisser les bras. C’est le moment de prier et travailler dur.

Interview réalisée par Octave Logo

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